Jean Leloup, le fou chantant
par Patrick Gauthier
dans Canoë, 13 octobre 2000
Critique

Depuis mon premier contact avec Jean Leloup, lors du lancement de son premier disque, en 1989, plus rien ne me surprend venant de sa part. Pourtant, il réussit encore et toujours à m'émerveiller. Comme il l'a fait avec son concert faussement acoustique.

J'aurais dû m'en douter. Après tout, un gars qui se présente au lancement de son premier disque déguisé en clown et qui, surtout, s'en va avant tout le monde, annonce ses couleurs.

C'est ce qu'avait fait Jean Leloup, en 1989, dans un grand local désaffecté, près de la brasserie Molson. Il était arrivé au sein d'une bande de joyeux drilles, tous déguisés en clown. L'un d'eux chevauchait une pétaradante moto. Le disque "Menteur" était lancé, et la plus brillante carrière musicale québécoise depuis celle de Robert Charlebois commençait.

Depuis ce jour, Jean Leloup a toujours fait les choses à sa façon. Sa façon unique. Des faits saillants? Il renie d'abord "Menteur", qui avait pourtant obtenu un très bel accueil critique et public.

Le disque fut, selon lui, "trafiqué" par sa compagnie de disques afin de satisfaire les canons de la beauté radiophonique. D'où son titre.

Leloup s'impose

C'est vrai que, sur scène, Leloup s'impose bien vite comme un véritable rocker - à la française mais rocker tout de même. Son deuxième disque, "L'amour est sans pitié", le confirme.

Puis, surprise, Jean Leloup verse dans le "remixe dance" en lançant, en 1991, "1990", sa fameuse pièce inspirée par la Guerre du Golfe.

Premier mini-album et premier remixe de l'histoire de la pop québécoise, "1990" confirme le statut de Jean Leloup et le propulse dans la stratosphère du succès.

Il allait y planer pendant quatre ans avant de revenir sur Terre avec "Le Dôme", en 1996. Cette absence allait permettre au public québécois d'y aller de scénarios plus fous les uns des autres, Leloup devenant, dans l'esprit populaire, le Howard Hughes québécois.

Leloup est... Leloup!

En vérité, Jean Leloup est... Jean Leloup! Brillant mais confus, paranoïaque mais sympathique, paresseux de génie, Leloup est unique.

Il n'hésite pas, par exemple, à nous servir plusieurs pièces inédites en concert. Des nouvelles qu'on ne connaît pas, et des vieilles, comme "Gros Bill", qu'il traîne depuis ses débuts.

Un artiste "ordinaire" ose parfois faire une ou deux nouvelles chansons en concert. En 1998, au Spectrum, le tiers des quelque trente pièces de son concert étaient inédites.

Je lui avait même suggéré, quelques jours après ce concert, de livrer un disque "live", histoire d'immortaliser ces chansons.

Qu'a fait Jean? Il a lancé, quelques semaines plus tard, "Les Fourmis", disque hybride, tiers disque "live", tiers compilation, tiers nouvel album. Bref, Jean Leloup, ça fait onze ans que je m'attends à tout de lui. Et ça fait onze ans qu'il réussit à me surprendre.

Leloup, revu et corrigé

Il y a deux semaines, au Spectrum, il y est parvenu à nouveau, avec un concert intitulé, à tort, "acoustique".

À tort parce que pendant ce concert, Jean revoit et corrige son oeuvre beaucoup plus qu'il n'en livre qu'une simple version acoustique. Même qu'il n'hésite pas à brancher sa guitare, imité par le bassiste Alexis Cochard. Le batteur Stéphane Gaudreault complète le trio.

Jean Leloup étant Jean Leloup, il a débuté son concert en promettant... un remboursement! Affligé par un rhume, il craignait que sa voix ne soit pas à la hauteur. Elle le fut...

Vieux classiques ("Laura", "Alger"), pièces plus récentes ("La vie est laide", "La chambre"), vieilles inédites ("Gros Bill") et chansons nouvelles ("Les papillons", "Honni soit qui mal y pense"), tout le catalogue de Leloup y passe avec, en boni, une folle version du classique jazz, "Summertime", pendant laquelle Jean joue (assez mal) du vibraphone.

Tout est passé à la moulinette, plusieurs pièces sont méconnaissables, certaines ne sont parfois qu'évoquées avant de devenir autre chose, certaines autres finalement demeurent assez près des versions d'origine.

J'ai souvent eu l'impression, en écoutant Leloup ce soir-là, d'avoir pris un peu trop de sirop à la codéine. Tout me semblait familier et étrange à la fois.

Leloup comme Van Gogh

Dans leur forme épurée, les similitudes entre plusieurs chansons de Leloup ressortent. Quand il gratouille la guitare et chante ses rimes, plusieurs pièces semblent sortir du même moule.

Loin d'être désagréable, cette impression de déjà-entendu m'a rappelé... Vincent Van Gogh!

Comme le célèbre peintre, Leloup exploite souvent les mêmes thèmes, les mêmes patrons, les mêmes couleurs. Et, comme Van Gogh, malgré leurs similitudes, chaque oeuvre est unique.

Bon, moi, je l'ai déjà dit, j'aime mon Jean Leloup servi rock and roll. Et, malgré quelques moments plus intenses, son concert a fini par m'agacer un peu. Agacer comme dans "agace-pissette".

Ce concert faussement acoustique fut, pour moi, deux heures de superbes préliminaires. Mais, sans coït à la fin, un gars se tanne...

Reste à voir maintenant comment Jean Leloup se débrouillera dans le grand Métropolis, le 7 novembre. Je trouvais déjà que le Spectrum était un peu grand pour le type de concert qu'il livrait.

Mais Jean Leloup étant... Jean Leloup, il trouvera sûrement une façon de dompter le Métropolis.

(Article original)


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Dernière mise à jour le 22 octobre 2000.
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