Un éléphant dans le salon
par Sandrine Turcotte
dans centpapiers, 14 novembre 2006
Article

Grand moment de radio, hier à Christiane Charette. Jean Leclerc s'est invité à l'émission pour conclure par une chanson le chi-chi dans lequel il était pris depuis quelques jours. Rappelons brièvement les faits. En entrevue avec Marc Cassivi, Jean Leclerc ose dire que les nouveaux groupes québécois sont dans la ouate. Il dit sans doute autre chose aussi, mais c'est qui devient l'élément "sensible" du texte de Cassivi.

Jean n'est pas à l'aise avec ce texte. Il écrit au quotidien concurrent pour se défendre d'avoir une opinion qui pèse quelque chose, pour jouer la carte du mal cité.

Petrowski répond assez vertement. Cassivi est pas content non plus, il défend son intégrité professionnelle. Jean Leclerc réplique.

Ça nous amène à Christiane Charette donc. Jean vient interpréter une chanson, qui devrait, selon toute vraisemblance, mettre fin à cette querelle, si querelle il y a.

Leclerc entame alors une chanson triste qui soutient un texte tout droit venu du coeur. Impossible d'être indifférent à cette missive tellement le poète est mis à nu, tellement ses tripes sont là devant nous sur la table. Jean Leclerc décrit des petits bouts d'Algérie qui ont sans aucun doute meurtri son âme adolescente et sur lesquels se sont ensuite construites ses carapaces de bouffon, de baveux, qu'on connaît bien. Une fois les dernières notes jouées, on sent le poète se reculer. Il n'y a rien à ajouter.

Et pourtant. L'animatrice, qui a peut-être bu un café sans écouter la pièce, ou bien qui a laissé toute sensibilité primaire au vestiaire ce jour-là, revient à la charge. Elle en veut plus. Ses tripes sont sur la table et le chanteur peine à reprendre son personnage mais elle en veut encore plus. Il s'explique, même : je suis un émotif. Elle n'entend pas : Oui oui on sait tous que tu es un grand sensible, mais Petrowski, tu trouves vraiment que... ? Dis-moi Jean, qu'est-ce que tu me dis si je te dis quelque chose comme : Malajube ? Sont bons. Tu vas endisquer cette chanson ? Tu nous laisses la mettre sur notre site web ? Je suis une pragmatique, moi, explique-t-elle...

Le poète tente à plusieurs reprises de faire cesser cette conversation de salon qui s'installe malgré cet éléphant d'émotion qui trône sur le tapis persan, mais en vain.

Les courriels commencent à pleuvoir. Il faut les imprimer (pff). Les auditeurs tentent de réconforter l'artiste qui semble déboussolé de n'avoir pas touché la cible. Ce n'est pas la cible qui n'est pas touchée, c'est l'animatrice qui n'a pas voulu se laisser toucher. Les courriels disent même : Cessez de le torturer ! Il y a des moments où il faut se taire !! Même aussi clairement apostrophée, Christiane ne s'ébranle pas : J'ai le dos large, dit-elle.

L'entrevue se termine en queue de poisson, malgré la reconnaissance timide des critiques de musique qui suivent l'homme blessé qui a repris son chapeau de fou du roi pour masquer sa brûlure.

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Ce matin, Petrowski a compris.

photo : luce_beaulieu (Flickr)

(Article original)


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Dernière mise à jour le 21 décembre 2006.
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