Jean Leloup et son Karaoke Dreams, homme mouvant fasciné du mouvement
par Jimmy Chartrand
dans Côté Blogue, 8 août 2011
Entrevue

Jean Leloup présentait vendredi soir à FanTasia son film Karaoke Dreams, je l'ai rencontré pour l'occasion.

Tout le monde connaît Jean Leloup pour son excentricité et il ne fait pas dos à la coutume en venant présenter son premier film, Karaoke Dreams, en première au festival FanTasia cette année. Du coup, je me suis entretenu avec lui et son actrice principale, Esther Gaudette, pour parler de tout ça. Par contre, résumer une discussion avec un tel personnage résume du défi puisque la fluidité de ses paroles n'ont comme fil conducteur qu'un alignement inattendu de successions d'idées. Pire, le sujet en question semblait tout autant abstrait que le reste. Essayons donc d'en sortir les grandes lignes d'un de nos plus grand artiste du pays qui n'a certainement pas peur d'en faire à sa tête coûte que coûte et de multiplier les audaces au risque de mener à nos plus grands questionnements.

Johnny Go

Soucieux de l'identité puisqu'il les a multiplié, Jean Leclerc alias Jean Leloup, John The Wolf, Le roi Ponpon, Pablo Ruiz, Johnny Guitar et on en passe, voit cet aspect comme une oeuvre d'art. Il dit d'ailleurs ne pas l'avoir trouvé comme tu dois constamment la travailler. Par contre, il précise bien aimer Massoud Al Rachid, soit, le nom qu'il avait utilisé pour son roman. "Je pense que c'est mon préféré à date. Massoud Al Rachid, je le trouve drôle lui. Pis je trouve en plus que c'est comme ça que je suis. Je suis un peu "massoudais"."

Vient ensuite la question du Dr. Johnny Welltiper. "C'est le personnage du film. C'est le personnage qui fait le film, dans le film. Ce personnage-là prend les inconscients et ce film-là, Dr. Welltiper prend l'inconscient d'un obèse dans un endroit rose bizarre. Un obèse de 50 ans qui a l'air angoissé. Pis là ce qu'on voit c'est son inconscient, des scènes de jeunesse dans sa famille qui se tappe sur la gueule, pis y a aussi des scènes bizarres avec des personnages bizarres comme un mélange de la réalité et de la fiction. Pis Esther là-dedans, a fait plusieurs personnages qui sont des femmes qui existaient dans la tête de ce jeune gars-là quand y était jeune avant qui se retrouve dans cette espèce de place rose là. Pis Esther fait une actrice des années 20 dont lui a vu un film, une fille qui se fait interroger par la police, c'est comme plusieurs âmes."

Le castel impossible

Dès lors, le tourbillon débute. N'ayant pas vu le film et m'étant peu renseigné pour être sûr d'en avoir la plus grande surprise à mon visionemment, ne suffit que de demander la question suivante: "À quoi peut-on s'attendre ?", pour laisser s'enchaîner des réponses toutes plus inédites les unes des autres laissant franchement croire que quiconque se permettra l'expérience sera sûr de vivre tout un périple.

"Esther: À quoi on peut s'attendre? On peut s'attendre à un film complètement original. Ce qui est le fun c'est que les gens vont vraiment pouvoir se faire leur propre interprétation, je pense que y a une liberté offerte au spectateur.

Jean: Esther c'est une danseuse contemporaine et le film est beaucoup basé, pas sur les dialogues ou les textes, mais les mouvements, les expressions et les gros plans, pis c'est comme des mouvements justement de danse contemporaine, c'est abstrait, mais tu peux te faire ton histoire au lieu de t'en faire "tabarnaker" une dans face. T'as comme plusieurs éléments, mais tu peux aller chercher comme plein de sens. Vois-tu?

Esther: Ça change oui, surtout sur la réflexion, on a joué beaucoup sur des flashbacks, je trouve que c'est construit.. En fait, moi je le vois beaucoup comme une oeuvre contemporaine. C'est sûr aussi que y a une dureté dans le film. On parle quand même de pédophilie, d'un jeune qui se fait donner des claques au visage par sa mère qui est un peu en prison dans cette famille-là, qui se fait des images dans sa tête, qui s'invente des personnages dans sa tête -est-ce qu'ils sont vrais ou pas? Tu le sais pas.

Jean: Ouais, c'est ça, exactement! Tu sais pas qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est faux, mais c'est comme si dans la tête d'un personnage qui se peut pas, ça se peut que l'autre soit dedans pis que c'est l'autre qui est dans la tête de l'autre, pis peut-être.. C'est un peu comme plein de gens qui ont des rapports bizarres pis qu'on sait pas c'est quoi. Pis c'est de gens qui se peuvent, pis y en a d'autres qui sont des personnages fictifs, pis c'est comme si les personnages fictifs pensaient aux personnages réels. Tsé je suis en train de comprendre mon film!

Esther: C'est comme un peu des âmes égarés qui se rencontrent dans l'invisible. Moi je le vois un peu comme ça aussi.

Jean: Elle dans le film c'est la réincarnation d'une femme qui faisait des films dans les années 20 qui a disparue, qui s'est fait tuer, pis en fait c'est plusieurs âmes, a fait des téléphones, a l'attend un gars, à l'envoye chier, a crève les yeux.. Tsé a fait plein de choses, on sait pas c'est quoi, pis on dirait que ça se passe toute dans tête d'un gros gars dans une famille qui se fait donner des claques sur la gueule. C'est un festival de claques sur la gueule sur un gros gars qui est malheureux dans une famille de cons. Mais dans un monde malheureux!

Esther: Tu parles aussi du bien et du mal.

Jean: Ah! les héros, ouais, le bien et le mal. C'est l'histoire aussi de comment y voyait ses parents comme des héros, pis comment ses héros se sont battus pour qui reste saint d'esprit, malgré que les parents étaient devenues plates. Ça va chercher aussi beaucoup d'histoire des filles qui se retrouvent dans la merde.

Esther: Oui les jeunes qui sont pris, bon en Asie à faire de la prostitution, une jeune fille qui est larguée, qui est blanche, qui doit se prostituer pour gagner sa vie, qui a pu trop d'endroits où aller.

Jean: Toute la marde qui arrive en fait. Ça parle de ça, la marde qui arrive à une fille qui est jolie, qui est belle. Donc la fille est belle pis là y lui arrive plein de marde, des histoires d'amour plates, des affaires louches.. Plein d'affaires, comme toute la marde. Pis en même temps, est-ce qu'elle existe cette fille-là? Y en a une de toutes les personnages qu'elle a fait qui existe, c'est la fille qui se fait interroger par la police parce qui lui est arrivé une marde pis qu'est là. C'est toute."

Les moments parfaits

Nous suivez-vous toujours? Intrigant, non? Il faudra donc bien voir le long-métrage puisque le processus de création pourrait difficilement être plus intéressant. Non seulement le film est le résultat de plus de quatre ans de travail, mais il est également un enchaînement de hasards et de circonstances qui ont simplement bien tombées.

"Jean: Toute tombait! Pis là juste avant de parti j'ai dit: j'y vas pas. Pis après j'ai dit ok j'y vas d'abord, pis on est allé faire des clips, on était en voyage, c'est un hasard qui est arrivé pis on s'est tous rencontré. En Asie on a tourné deux-trois clips, pis après on revenu ici continuer l'histoire".

Esther: On est revenu ici au Québec pis on a continué à faire des scènes, parce qu'on avait des trucs assez forts, le film en noir et blanc c'était assez solide.

Jean: Ouais, c'était la base.

Esther: Pis là on s'est dit pourquoi on invente pas une histoire qui peut avoir rapport avec ça, c'était un peu notre canevas de base si on veut. Pis à Montréal on s'est mis à triper, on a fait des décors, donc a continué l'histoire, on a vraiment tripé à faire participer les comédiens à faire acheter des costumes, des accessoires, faire les décors.

Jean: ouais on a toute monté les décors et on choisissait les costumes. Pis moi j'ai appris la caméra. À un moment donné j'ai eu de l'argent un peu et j'en ai acheté une, ensuite j'ai ouvert le manuel à où est-ce que sont les switch. On a fait ça from the top, les décors, pis après ça, là, le film a été tourné pas mal et puis là j'ai fait ok, pour ensuite commencer beaucoup de montage. Ça pris deux ou trois ans de montage, ça finissait pu, mais y avait tellement de possibilités, je me suis mis à virer fou, j'ai eu ben du fun. Après j'ai commencé à faire la musique du film y a un an, et là ça a donné que c'est devenu..

Esther: c'est devenu un film plus rock'n'roll

Jean: Ouais, ben rock'n'roll."

Rock'n'roll pauvreté

Et ce rock'n'roll là dont ils parlent, c'est celui de la liberté de création qu'ils ont eu. "Tout le monde doit voir ça. C'est du rock'n'roll, y a pu rien de rock'n'roll! Tout est "setté". Toutes les films que tu vois, y sont corrects, mais c'est juste que y a pas la liberté rock'n'roll tandis que nous on l'a eu, on a fait la liberté rock'n'roll." Non seulement a-t-il trouvé sur le tac pratiquement tous ses comédiens qui étaient toujours là où ils devaient se trouver ainsi que disponibles, du professeur de Wushu -une technique de combat pour le cinéma- que Violette Chauveau ou même leur personnage qui jouerait l'enfant maltraité, qui se trouvait juste à côté de leur table par hasard qui a hésité sans détour la proposition de jouer dans le film.

Voilà

Du coup, pour Jean Leloup qui ne voit aucunes frontières entre les médias, alors qu'il aura pratiquement touché à tout, ne sait pas trop si le cinéma était réellement la prochaine étape à atteindre. Certes, il a eu plusieurs collaborations par le passé autant au grand qu'au petit écran, dont une apparition dans le film Nô de Robert Lepage pour ne nommer que celui-là, mais ce projet-ci était d'une ampleur complètement différente. "J'ai eu du fun à faire ce film-là, mais honnêtement j'arrive pas à faire mieux là, parce que c'est une histoire que j'ai fait à mesure. J'aurais pas pu imaginer une histoire de même sans travailler avec les acteurs. Parce que ce que je faisais, j'écrivais des scènes, je trouvais une idée, pis des fois on pouvait pas la faire. Fait qu'on changeait d'idée, pis eux m'ont donné du acting que des fois après, sur le coup, j'étais: "voyons, c'est pas ça je voulais", mais après je réalisais que ce qui m'avait donné pouvait donner un autre personnage pis là je développais avec eux autres. Donc ça a donné que c'est un truc qui a vraiment pris quatre ans à faire, pour de vrai, pas juste quatre ans de niaisages, quatre ans de travail pis que tu débloques, pis c'est ça qui fait que je suis content de l'avoir fait sans aucun financement ou institution, pas que je suis pas d'accord, mais parce que ma façon de marcher, je pouvais pas savoir où est-ce que je m'en allais. C'est que ça prend 4 ans, y a des gens qui écrivent des romans que ça prend 20 ans, pis y prennent leur temps. Ça coûte pas cher fait que y ont le droit, mais en cinéma t'es obligé de respecter les dates pis t'as des financements, mais j'aurais pas réussi parce ça se passe surtout dans le montage après."

On peut donc comprendre que ce processus aussi spontané n'est pas de tout repos. C'est donc sans surprise qu'il répond sans hésité que ce qui le rend le plus fier avec ce projet-là, c'est de l'avoir terminé et accompli."Ce dont je suis le plus fier, c'est d'avoir "toughé la run". (rires) D'avoir réussi à finir, même si ça a pris 4 ans. Parce que tout le monde me disait paniqué: mais là! Quatre ans! Pis je pensais tout le temps, ben voyons, y a du monde qui ont écrit des romans, ça a pris 25 ans. Le gars qui a organisé les Mille et une nuits, je pense que c'est trois générations d'une famille. Tsé, y a des gens qui écrivent des dictionnaires pis ça leur prend 100 ans, pis là ils meurent pis y sont rendu à la lettre T. Tu sais, tu comprends, pis c'est le fun, pis c'est bien fait. Je sais pas, à un moment donné tu peux penser à autre chose, tu peux avoir envie de faire quelque chose de beau. On voulait vraiment faire quelque chose de beau, mais pour de vrai là. Pis ça tsé c'est pas pire. On voulait vraiment faire quelque chose avec les acteurs, ensemble. Que ça se passe vraiment là, au lieu de marcher selon un protocole, d'y aller en respectant seulement nos règles."

La vallée des réputations

L'homme qui est clairement cinéphile, tout en ajoutant que son film préféré est fort probablement Les enfants du paradis de Marcel Carné, ne sait pas concrètement ce qui attend son film une fois son passage à FanTasia. Pour eux, l'association fut pratiquement immédiat lorsqu'ils ont réalisé que ce festival qu'il aimait bien était bel et bien celui qui laissait entrer des films de genre singuliers, tout autant qu'asiatiques, tel Oldboy de Park Chan-Wook sur lequel ils avaient bien tripé Esther précise le "phénomène d'étrangeté" du festival expliquant pourquoi Karaoke Dreams y trouvait bien sa place, plus qu'aux autres festivals qui semblent beaucoup plus se concentrer sur des films classique. "Moi j'adore le cinéma classique, mais ce coup-là c'est pas classique, oublie ça. Fait que on s'est dit: Fantasia, yé! Fantasia c'est tripant comme festival, tsé les gens pensent que c'est juste des trucs séries B, mais c'est pas ça pentoute. C'est tout complètement pêté, pis ces films-là on les voit pas nécessairement à la télé, je sais pas où c'est qui les montre!"

Certes, pour lui, tout le monde devrait voir son film et croit décidément qu'il pourra faire le tour du monde. "Si Alien a fait le tour du monde, Karaoke Dreams, ça va faire quatre fois le tour du monde." Esther rajoute d'ailleurs: "J'en reviens à dire que c'est comme la danse contemporaine, c'est vraiment exportable à l'étranger. Pis je trouve que le film de genre c'est un peu ça aussi. Y a peu de dialogues, c'est un film qui se laisse emporter par la musique aussi où tu peux te faire ta propre idée, je pense que c'est vraiment un film qui peut avoir une vie à l'étranger." Jean Leloup mentionne d'ailleurs plus précisément les japonais qui de façon intrigante aiment beaucoup l'étrangeté.

On pourrait également croire que ce projet sera lié à son autre plus récent, soit la tournée à venir découlant de son album fait avec The Last Assassins, avec qui il a composé la musique du film, mais il ne peut encore rien en dire de concret. "Non, je fais mes shows à l'automne pis mes chums qui ont fait le disque avec moi vont venir se joindre à la tournée, mais je fais des shows. Mais oui c'est sûr j'aimerais ça avoir des fois du kung fu un peu, peut-être que oui, peut-être que non. Parce que là le film je trouve qu'il est en train de voler, ça l'air le fun. Je pense même que le monde vont triper."

Laisse-toi haller

Ne reste plus alors qu'à profiter de cette offrande de l'artiste puisque dans le long terme, l'hésitation est longue à savoir ce qu'il lui reste à accomplir. Si instinctivement il repense à la poétique réponse d'Henri Salvador "J'ai peur de ne pas mourir", il hésite beaucoup quant à ce qu'il aimerait faire désormais à la suite d'une carrière qui défile depuis déjà fort longtemps. "[Ma carrière a commencé] à 11 ans, là j'ai 50. Donc là, honnêtement je suis ben en forme, je viens de faire un film pis j'ai tripé et j'ai appris. Au début j'ai commencé, je savais pas, les acteurs c'était quoi, etc. Moi je pensais que tu leur disais quoi faire pis y faisait ce que tu leur disais. Sérieusement, ça a vraiment été une école de vie de travailler avec le monde. Pis là ça m'a renseigné sur c'est quoi le cinéma pis c'est quoi qui est le fun là-dedans. Pis ça me tente d'en faire d'autre, mais là honnêtement, c'est de faire une scène de kung fu en Afrique avec des gars en motocross habillés en rose. En fait les motocross attaquent, foo fighter, des ninjas, de l'action. Non mais y en a plein d'images que j'ai envie de faire. Mais pas tout de suite parce que je réussi pas à faire mieux que ce que je viens de faire. Ça me plaît de travailler le mouvement. Y a tout un langage de l'image."

Karaoke Dreams est présenté ce soir au festival FanTasia à 23 h 30, en présence de Jean Leloup, évidemment. Et pour reprendre ses mots qui seront certainement de la plus grande exactitude: "si tu viens pas tu manques de quoi". Vous aurez été prévenus!

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Dernière mise à jour le 14 août 2011.
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