Entrevue
par Filles d'aujourd'hui
dans Filles d'aujourd'hui, 1991
Entrevue

On l'aime ou on ne l'aime pas. Pas de demi-mesure ! Chez lui non plus d'ailleurs ; il provoque en hurlant tout haut ce que d'autres pensent tout bas. Leloup dérange, bien sûr, mais nous sommes des milliers à lui trouver du génie. Et s'il frappe dans le mille, tant sur disque qu'en spectacle, ce n'est certes pas l'effet du hasard. Leloup s'investit entièrement dans tout ce qu'il fait. Même lorsqu'il s'agit d'accorder une entrevue...

-Que penses-tu des jeunes d'aujourd'hui, ceux qui vont te parler après tes spectacles, ceux que tu croises dans la rue ?

Je les trouve plus rigolos que les jeunes que je rencontrais quand je suis revenu vivre au Québec, à l'âge de 15 ans. À cette époque, tout le monde se pensait révolutiionaire. Les " kids " ont aujourd'hui une vision plus froide et plus dure de la réalité. Ils n'ont pas la prétention de vouloir sauver la société. Moi j'aime mieux ça. Comme moi, ils sont plutôt individualistes.

-Qu'est-ce que les jeunes te disent ?

Certains me disent qu'ils aiment ce que je fais et d'autres qu'ils n'aiment pas. Il y en a aussi qui me disent qu'ils s'identifient à moi à cause de ce que je raconte dans mes textes. Il n'y a pas grand-chose qui se fait qu Québec pour les jeunes qui aiment un rock qui frappe et des textes " street ". Pourtant, ça faisait longtemps que le monde attendait ça. Trop souvent, les chanteurs d'ici se donnent pour mission de conscientiser la population. Moi, tout ce que je veux, c'est de raconter des histoires, sans faire la morale. Je ne suis pas du tout curé. C'est d'ailleurs très québécois ce côté curé qui pousse à toujours parler de sujets importants. Les Américains et les Européens ne pensent pas comme ça. Le côté très romantique des Québécois, je ne l'ai d'ailleurs jamais compris, sans doute parce que j'ai vécu en Afrique de l'âge de 3 à 15 ans. Je m'identifie beaucoup plus à la culture européenne. Comme eux, j'écris des textes imagés, durs et pas du tout moralisateurs. Au Québec, à une certaine époque, il y a eu une forte tendance à la grandeur d'âme. On a même vendu de la bière en disant : " On est six millions, faut s'parler ". Le pire, c'est qu'avec ça, ils en ont vendu de la bière ! Il y aurait eu de quoi fracasser les téléviseurs. Mais les Québécois ne se choquent pas, ils sont fins.

-Et toi, te choques-tu ?

Je me choque au boutte ! À mes débuts, je passais pour un " crackpot " avec mon tempérament européen. Le simple fait de dire ce qu'on pense ici, c'est déjà trop. C'est chiant !

-Pourquoi alors as-tu commencé à chanter ici ?

Il y a deux ans, pendant la production de mon premier album, j'ai quitté le Québec avec l'intention de ne pas revenir. On ne me laissait pas faire la musique que je voulais faire : du vrai rock. Je suis parti avant même que les mixages soient terminés.

- Mais tu n'as aucun contrôle sur ton disque ?

Quand tu commences, tu n'as aucun contrôle. Il y a à peine deux ans, une guitare qui fait bang ! comme dans Cookie, c'était impensable d'enregistrer ça au Québec. Tout le monde jouait de la guitare électrique dans son salon mais, une fois en studio, tout le monde avait peur de déplaire aux stations de radio. Pour mon deuxième disque, j'ai monté mon propre groupe, La Sale Affaire, et là j'ai fait ce que j'avais envie de faire. Et ça a marché cent fois plus que le premier disuqe. C'est comme un gros pied de nez à tous ceux qui mes disaient qu'il faut faire de la petite musique " cute " au Québec. A voir les " kids " qui sont venus au Spectrum pour le spectacle Halloween, je me demande où ils ont pêché l'idée que le rock'n'roll, ça ne pogne pas au Québec.

-Mais un gars comme toi, ça doit faire peur à bien du monde...

Oui, même qu'au début, quelqu'un m'avait dit que j'étais dangeureux parce que j'incitais les jeunes à la violence. Ça s'peut pas ! Ce n'est même pas vrai !

-Es-tu un gars violent ?

Pas du tout ! Je suis un bon vivant, mais je ne suis pas violent.

Barcelone : pas de regrets !

-Tes textes ont pour thèmes des réalités très urbaines. Quel accueil reçois-tu en région ?

Ils tripent les " kids " ! Ils n'ont jamais vu ça une " bébitte " de même. Moi, je sors d'un milieu très " street ". De l'âge de 20 ans jusqu'à il y a deux ans, j'habitais dans une chambre minuscule dans le quartier le plus dur de Barcelone. Je gagnais ma vie en faisant des jobines à gauche et à droite. A Barcelone, c'était la galère. On fêtait pas mal.

-Il paraît que tu t'es assagi depuis. Est-ce l'âge qui fait ça ?

Non, c'est pour ma santé.

-Jean Leloup et Monsieur Leloup sont-ils très différents l'un de l'autre ?

Oui et non. C'est certain que quand je mange mes deux œufs tournés pour déjeuner, je ne mets pas un coq rouge avec des pics argent ! Mais quand je fais un show, je fais un show ! Alors je me déguise.

-Maintenant que tu as des horaires à respecter, des entrevues, des séances de photos, regrettes-tu ta vie de bohème ?

Pas du tout ! Tant que je crée, je suis heureux. J'aime faire de bonnes choses, créer des événements qui ont du sens. C'est comme pour Halloween, je n'ai pas fait un sou avec ces shows-là. J'ai tout investi dans les costumes et les décors. Mais j'ai eu du plaisir à faire quelque chose de l'fun. De tout façon, à quoi ça sert l'argent ? À acheter une T.V., une autre T.V... Pour moi, il n'y a rien qui remplace le fait de faire des choses qu'on a envie de faire. Monter un show et se rendre compte ensuite que les gens ont aimé ça, wow ! C'est comme d'inviter des amis à un souper où il y a de la bonne bouffe, du bon vin et de la bonne musique, et que les gens repartent contents. En show, je me force comme un bœuf pour donner le meilleur de moi.

-Un spectacle ou un disque, c'est aussi un travail d'équipe. Es-tu parfois obligé de faire des compromis ?

Les compromis, je pense que c'est fait pour les gens qui se détestent. On ne peut pas faire de compromis quand on veut faire un bon show. Je n'accepterais pas de travailler avec des gens qui ne me conviennent pas et à qui je ne conviens pas. C'est la même chose avec mes blondes.

-Puisque tu parles de blondes, l'amour est traité d'une manière plutôt sombre dans tes textes...

Oui, mais c'est toujours dit en riant. Il n'y a aucune intention triste là-dedans. Quand tu vois que l'autre ne veut plus rien savoir, tu t'en vas ! C'est niaiseux de s'accrocher.

L'oiseau rebelle fait son nid...

-Qu'est-ce que tu aimes le plus faire ces temps-ci ?

De ce temps-ci, je meuble un appartement. C'est la première fois de ma vie que je fais ça. Avant, j'avais juste du linge. Je n'avais même jamais eu de lit de ma vie. Là, je viens de m'acheter un futon. Je n'en reviens pas !

Et nous terminons cette trop courte entrevue par une petite anecdote concernant le chandail orange qu'il portait lors de la session de photos. C'est un kid de Québec qui me l'a donné. J'étais dans un café et il est venu me parler avec sa gang. Je leur ai payé un café et il m'a offert son chandail.

-Habituellement, n'est-ce pas plutôt le contraire : les fans ne veulent-ils pas avoir un objet appartenant à leur idole ?

Pas avec moi, parce que les gens qui aiment ce que je fais me comprennent. Certains ont des réactions " bébé ", mais la plupart ont compris mes textes et ils agissent comme moi je le ferais. Je ne suis ni quémandeux ni téteux. L'attitude du gard de Québec pourrait être la mienne : je t'aime, alors je te donne quelque chose ! Contrairement à ce que bien du monde pense, je ne suis vraiment pas un gars compliqué

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Dernière mise à jour le 31 octobre 2001.
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