Jean Leloup, la musique d'abord!
par Linda Boutin
dans Filles d'aujourd'hui, juin 1997
Entrevue

Finie l'époque où Jean Leloup arborait habits multicolores et haut-de-forme pour impressionner la galerie. Après avoir été absent de la scène musicale pendant trois ans, il nous revient avec pour tout bagage ce qu'il a de plus précieux: sa musique.

Jean Leloup - Leclerc de son vrai nom - a commencé à jouer de la guitare quand il était adolescent. Un exutoire à la grisaille quotidienne. «Si je ne l'avais pas fait, mon imaginaire serait sans doute parti en fou, en rose nanane», dit-il. Malgré les louanges de la critique à propos de son talent musical, le chanteur de 36 ans pense qu'il n'est qu'un bon guitariste qui doit travailler fort pour être satisfait de sa performance. Toutefois, cet effort nécessaire et le manque de confiance en soi freinent son envie de s'éclater sur scène. «Si j'étais moins timide, j'improviserais encore plus avec les musiciens. Pour l'instant, je me restreins à mon répertoire.»

Après le mégasuccès obtenu par l'extrait 1990 et les innombrables tournées qui suivent, le mauvais garçon de la chanson québécoise tourne subitement le dos à la popularité. Il est fatigué «d'être traité en petit bébé qui se laisse organiser». Du jour au lendemain, Leloup disparaît dans la brume. Dans sa retraite, le chanteur pratique ses riffs, comme il le dit si bien, avec plusieurs musiciens. «J'ai décidé d'améliorer ma technique et d'être plus à l'écoute de mes partenaires de scène.» Il abandonne La Sale Affaire, son groupe formé en 1990, et repart à zéro. Seul le bassiste, Alex Cochard, reste avec lui.

Pourtant, rien ne poussait le chanteur à se retirer dans ses quartiers. Il aurait pu gagner beaucoup de fric en lançant d'autres chansons comme Isabelle. Mais voilà, l'argent, il s'en fiche éperdument! Pour lui, l'important se résume à deux mots: liberté et création. Quitte à être pauvre comme Job. «C'est ce que j'apprends qui me rend heureux.» À ses yeux, les plus beaux moments surviennent lorsque les musiciens jouent un riff en y mettant tout leur coeur.

Un éternel insatisfait

Leloup participe à de nombreux jams au cours de son absence de la scène musicale. Pendant des mois, il touche à plusieurs styles, dont le reggae, le hip-hop. le blues, le folk et le country. De la centaine de chansons qui naissent de ces séances d'improvisation, il en retient une douzaine pour Le Dôme, son récent album paru l'automne dernier. Cependant, avant d'être immortalisées sur disque, ces pièces sont remaniées plusieurs fois. Voilà pourquoi cet éternel insatisfait met tellement de temps à réaliser ce troisième album. «Ce disque a été une véritable école pour moi; j'y ai fait plusieurs trips musicaux», explique-t-il. Le jeu en vaut la chandelle: les critiques n'hésitent pas à classer Le Dôme parmi les cinq meilleurs albums québécois de la dernière année.

Leloup occupe un créneau à part chez les chanteurs de sa génération. Il est sans doute le seul à avoir touché à autant de genres musicaux sans s'être cassé la margoulette. Passant du disco (1990) au country spanish (Isabelle}, sans oublier le hip-hop (Johnny Go), ce marginal de la chanson québécoise ne cesse de surprendre son public par l'étendue de son talent. Phénomène étonnant, il compte tant des babyboomers que des adolescents parmi ses fans.

Depuis son retour, Leloup prend son métier très au sérieux. Il se donne entièrement sur scène. On devine chez lui un grand bonheur d'être de nouveau devant une foule. «Ça fait partie de la job du chanteur de faire du bien aux gens», dit-il simplement. Et ses milliers de fans le lui rendent magnifiquement. Des filles lui crient leur admiration - un peu trop à son goût! -, et des gars naviguent au-dessus des têtes des spectateurs. Avec une joie évidente, la foule goûte la poésie urbaine du chanteur. Cependant, la popularité lui donne parfois le vertige. Malgré tout, à chaque spectacle, les rappels lui font chaud au coeur. Ainsi, il a l'impression de participer à la création d'une société un peu moins... rose nanane.

Top secret

Avec le dernier spectacle de Leioup, le public en a pour son argent. Le chanteur livre une trentaine de nouvelles pièces; de plus, l'éclairage est superbe et le son impeccable. En compagnie de ses comparses, Johnny thé Wolf célèbre la musique. Malgré le caractère souvent cabotin du personnage - il remporte haut la main le trophée de la bêtise pour ses entrevues à la télévision -, le Québec l'adore. Si Leloup écoutait son coeur, il fuirait les campagnes de promotion comme la peste. Il déteste que journalistes et admirateurs s'immiscent dans sa vie privée. Alors, inutile de lui proposer la création d'un fan-club. Leloup ne donnera jamais le feu vert. «Quand je chante, c'est mon âme qui s'exprime. Il n'y a pas de quoi tomber amoureux de moi», déclare-t-il.

Sans nouvelles de lui depuis la tournée «Rock en lait» de 1993, on le croyait endetté et accro à l'héroïne. Le principal intéressé laisse courir la rumeur. «Je veux avoir la paix. Ça bousille les choses lorsqu'on veut tout savoir sur moi. La musique est là. pourquoi chercher à en savoir davantage?» Il nous faudra écouter Le Dôme pour satisfaire notre curiosité. Le chanteur livre, par bribes, ses états d'âme des dernières années. Ainsi, dans La Chambre, on apprend qu'il a failli tout envoyer valser. La Drop sociale nous informe qu'il a vadrouille en ville en compagnie d'amis fauchés. Dans Sang d'encre, on découvre qu'il s'est fait du mouron pour une amie junkie.

Selon Leloup, les chansons révèlent souvent l'humeur de l'auteur-interprète. «Tu sais si le chanteur file un mauvais coton ou s'il est amoureux par-dessus la tête.» Attention, l'autobiographie comporte toutefois des limites, «Je chante des angoisses qui ne sont pas toujours les miennes», précise-t-il. S'il demeure évasif sur sa vie personnelle, il devient un véritable moulin à paroles quand il est question de musique. Il déclare écouter toutes sortes de chansons, dont il jure ignorer le nom de l'auteur ou de l'interprète. Ses préférences vont au blues, au reggae et au world beat. «J'aime beaucoup la musique à trois accords», résume le chanteur.

De petits bijoux

Si Jean Leloup jouait de la guitare comme il manie les mots, il serait aux anges. «Pour moi, écrire n'a jamais été un problème. Mais la musique, c'est une tout autre histoire. J'ai de la misère à m'y abandonner entièrement.» Les journalistes comparent souvent les textes du chanteur à ceux d'artistes français comme Jacques Dutronc ou Daran et les chaises. Truffées d'images, les chansons de Leloup racontent des histoires parfois touchantes (I Lost my Baby), parfois délirantes (Edgar). Johnny pond de petits bijoux littéraires comme d'autres vont au dépanneur. Ses chansons frappent notre imaginaire de plein fouet.

Auteur des douze pièces de son dernier album, Leloup emprunte à l'occasion des phrases à des amis. Comme celle-ci, tirée de La Drop sociale: «II est une heure à Montréal et je suis sur la drop sociale.» Son texte préféré? Le Dôme, en raison de la qualité de l'écriture. Contrairement à ce que l'on croit, Johnny Go ne résume pas la vie du chanteur. C'est plutôt la réunion d'extraits de diverses chansons.

L'angoisse de la page blanche tourmente rarement Leloup. En général, il écrit d'une traite et à profusion; l'auteur ne range sa plume que lorsqu'il est en tournée. «Le problème survient quand on se prend au sérieux. Le style devient alors ampoulé.» Cette habileté à coucher sur papier son univers intérieur lui vient sans doute de sa passion pour la lecture. Enfant, il lisait tout ce qui lui tombait sous la main dans la maison familiale qu'il a habité au Congo, puis en Algérie. «À force de lire toutes sortes de choses, je me suis mis à écrire comme du monde, à exprimer clairement ma pensée», rapporte-t-il. Cet ancien étudiant en littérature écrit aussi des nouvelles, qu'il transforme parfois en chansons. Peut-être un jour publiera-t-il ses meilleures oeuvres littéraires! En attendant. il se contente de chanter sa prose.

À ceux et celles qui lui envient son talent, il suggère de laisser flotter leur imagination au gré de leur fantaisie. «Les plus belles oeuvres proviennent d'un bel élan. Ce qui est laid, c'est de vouloir plaire. Prends une page blanche, évoque une image et pars en transe.» Selon Leloup, si tu sais parler, tu sais écrire. Maintenant, il ne te reste plus qu'à pratiquer tes riffs!


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Dernière mise à jour le 25 juillet 2000.
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