Jean Leloup: J'ai-tu un ticket?
par Ici
dans Ici, 24 juillet 2003
Entrevue

Après nous avoir mystifiés avec La vallée des réputations, Jean Leloup revient en formation big band. Soirées musicalement enivrantes et épidermiques en perspective. ICI l'a rencontré entre deux répétitions.

Jeudi après-midi. Mi-juillet. Parc La Fontaine. Le soleil brille sur la cité, le dernier Leloup dans le Discman. Les yeux au ciel. Hop, Galarneau me fait un clin d'oeil juste en haut du Mont-Royal. "Tu t'en vas interviewer Jean Leloup, mon p'tit crisse", semble-t-il me dire. Boulevard Saint-Laurent. Local de répétition de la star. Une fille, sympa, Florence, m'apostrophe. "Jean s'en vient."

La bête se pointe... Jeans slaques. Chemise orange bien mûre et jaune pétant. Poitrine parsemés de fils d'argent dans l'échancrure. Sempiternel sourire qui ressemble à celui du joker de Batman. Perles de sueur sur les tempes. Le quadragénaire est en shape. "Faut que j'aille mettre de l'argent dans le parco, après on fera l'entrevue."

Petit salon, Une clope? Non, c'est vrai, il a arrêté. Bien d'autres affaires aussi, comme disent les commères. Appréhension : va-t-il déconner? Se foutre de ma gueule? Pire, balancer l'entrevue? Les entrevues, une activité à laquelle il se livre avec une parcimonie rachitique depuis un certain temps. Marre de la célébrité, ose le journaleux? "C'est plate. Je n'aime pas ça. Tu réponds à tellement de questions que tu finis par te voir comme un gourou et à jouer à ça. Moi, moi pis moi. Tu rencontres dans la rue une connaissance qui te demande simplement : "Comment ça va?" Tu réponds : "Ben là, je ne le sais pas. Peut-être que la somme de mes humeurs n'est pas la même que les parties de mes émotions..." (pouffe de rire). Mais t'es pas en entrevue… C'est dangereux de faire des entrevues. Dangereux pour la tête. Il n'est pas normal de recevoir autant d'attention. On devient plate. Tu es toujours sur la défensive parce qu'on te pose plein de questions et, en même temps, on t'attaque. Être toujours sur la sellette implique aussi être toujours en train de se défendre. C'est agressant. Au départ, je souhaitais que mes disques se vendent, mais sûrement pas de devenir quelqu'un d'important. Quand on m'a donné cette importance-là, je ne me sentais pas à la hauteur. Pis j'ai joué des games et j'ai fait mon frais chié. Pis, depuis que j'ai mis un stop à cela, j'en arrive à rester calme quand l'entrevue est importante et à ne pas pogner un front de quatre murs d'épais. À rester moi-même plutôt que Joe Cool. Parce qu'un jour, y'en a marre de m'inventer des théories et de me trouver super intéressant comme si j'écrivais un livre, Ma vie, mon oeuvre."

LES SAINTES ÉCRITURES À propos de livre, le texte de "Paradis perdu" (La vallée des réputations) a-t- il quelque lien avec les écritures mystiques? "Non, pas du tout. Ça fait référence à un voyage que j'ai fait en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Polynésie. Moi, je croyais que j'allais voir les aborigènes. Et, finalement, on réalise que dans tous les endroits du monde les gens ne sont plus sauvages. L'Internet est arrivé partout. Puis il y a un lien avec les Européens qui ont débarqué en Amérique. Mais moi, contrairement à ce qui s'est passé, je dis dans la toune qu'il va falloir tuer tous les soldats, et en suite plus personne ne reviendra. Les gens n'ont jamais été très bons. Que ce soient les Indiens ou whatever. Enfin, c'est plus mythique que mystique. Parfois je me conte des histoires.", raconte Leloup. D'ailleurs, il n'a pas fini de s'en raconter et de nous les livrer par la suite. Lui qui nous annonce un roman depuis belle lurette s'est finalement retrouvé avec un conte d'une vingtaine de pages, qu'il entend mettre en musique et dont la parution est prévue pour l'automne.

Quant a l'émission destinée à Radio-Canada en faveur de la diffusion de laquelle une pétition a circulé il y a quelques temps, le bébé n'a pas encore été jeté avec l'eau du bain. "Ce sont des nouvelles que j'avais écrites et il fallait les adapter. Comme cela a été fait un peu rapidement, le résultat n'était pas concluant. Mais j'ai l'intention de retravailler le tout un jour. D'autant que je possède désormais ma compagnie, Le Roi Pompon. En ce moment, j'écris d'autres nouvelles que j'entends transformer en courts-métrages. C'est d'ailleurs cette compagnie qui a réalisé le clip La vallée des réputations."

Et puisqu'on cause lettres et images, qu'est-ce qui branche celui qui a grandi au Togo par les temps qui courent? "J'ai vu un excellent film récemment, In the Mood for Love, qui a séduit pas mal de gens. Il y a aussi le livre Demande à la poussière de John Fante, ça, c'était bon! Et j'écoute surtout Namori présentement, un grand musicien qui a joué avec Alpha Blondy, même que ce dernier était jaloux (rires)." Et de me présenter son batteur, l'Ivoirien Namori en question.

Pause dans l'entrevue avec Ze Wolf, qui décide d'aller s'accorder dans le studio.

BON PRINCE, LE ROI POMPON

Les musicos, soit l'excellent batteur Namori, le bassiste Charles Yapo et le claviériste David Mobio, et moi causons de musiques et d'Afrique (la section des cuivres répète encore séparément afin d'écrire et d'apprendre les partitions), de la visite de Bush sur l'île de Gorée, au Sénégal, haut lieu de l'histoire de ????????? d'assister à la suite de la répétition. Puis, Leloup se pointe. Seul avec lui dans le petit salon. Pourquoi revenir avec un big band alors que ton dernier album est plutôt lo-fi? "Ça fait longtemps qu'on m'appelle pour me demander de faire un gros show. Comme j'avais essayé des trucs, mais que ce n'était pas à mon goût, j'ai décidé de saisir l'occasion des FrancoFolies, après ce sera fait." Puis on parle de Gainsbourg et de Bambou…

Leloup agrippe son banjo, soudainement, et nous transporte dans un western- spaghetti. Galarneau opine du chef à travers les buildings de Montréal. Leloup poursuit son soliloque sonore. Il entame, avec un sourire grand comme le bar du Ritz, "Les portes du pénitencier". Le temps est bon. "Tiens, peut-être que je vais la mettre dans mon show, ça sonne en tabarnak." Les musiciens reviennent. On cause. Leloup s'assied sur le dossier du vieux canapé vert et commence a dénoncer les riches du Nord qui maintiennent ce bas les cours des devises des pays du Sud, histoire de mieux les exploiter.

Me raconte qu'il n'est pas riche. Qu'il pourrait, mais que pour cela il faut faire la pute. "Comme les artistes qui chantent la fête du Canada et que dénonce Falardeau?" risqué-je. "Facile de jouer les Che Guevera subventionnés. Che ne l'était pas , lui. Moi je dis : "Vive Plume, vive le Canabec". puis, se tenant en équilibre sur le dossier, les index tentant de toucher les pieds,"nos aînés, ça fait dur en sacrament. Pas de respect pour les aînés!" avant de tomber à la renverse sur le siège du canapé. Franche rigolade collective. Florence se pointe: "J'avais-tu un ticket après mon char?",lance le roi Pompon. "Non." "Yessssss!"

Photo: Jean Leloup et sa gang.
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Dernière mise à jour le 17 août 2003.
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