Exit Leloup, exit la routine
par Philippe Rezzonico
dans Le Journal de Québec, 23 septembre 2006
Entrevue

Jean Leclerc se pointe à l'entrevue avec un peu plus d'une demi-heure de retard. Une entrevue télé qui s'est éternisée, nous explique son attachée de presse. Pas grave. On s'y attendait. Jean Leloup était toujours en retard à ses entrevues. On peut changer de nom, mais on demeure fidèle à ses habitudes.

Dans les faits, Leclerc n'a pas changé de nom. Il se l'est réapproprié. Exit Leloup, comme l'indiquait le nom de son dernier projet. N'empêche, il y a certaines constances. Comme Leloup, Leclerc fait de la bonne musique, et l'artiste n'a certes pas perdu son franc-parler.

La parution de Mexico, mardi, a marqué le retour de Leclerc à la musique. La mise à mort de son personnage dont le dernier disque de matériel original était La Vallée des réputation, il y a environ cinq ans, n'était pas fortuite. Le passé, c'est terminé pour lui.

"Le truc, le principe en fait, c'est de ne pas chanter les vieilles tounes, dit-il. Ça m'ennuyait, honnêtement. Là, je m'appelle Jean "Dead Wolf" Leclerc, et on l'entend sur la première chanson du disque."

Dans le fond, Leclerc aurait peut-être pu poursuivre sa carrière de Leloup en évitant ses vieilles oeuvres, mais le mal était plus profond. Bien plus profond.

Il s'ennuyait

"En fait, je trouvais ça très ennuyant, une carrière de chanteur connu. Très, très ennuyant."

Pourant, Dieu sait que John the Wolf avait un suivi de fans qui n'était pas loin de ressembler à un culte.

"J'ai eu du fun!, assure-t-il. C'est pas que le following n'était pas bon. Tu sais t'as ben beau être marié avec la femme du siècle, si tu restes à la maison toute la journée, tu vas finir par t'ennuyer."

Et ce n'était pas vraiment la musique qui ennuyait Leclerc.

"De temps en temps, je suis rentré en studio, ces trois dernières années. Et j'avais du fun! J'avais le goût de faire de la musique sans pression. J'ai peut-être fait 40, 50 pistes de base avec musique, des loop, etc. Là, j'ai eu du fun à le faire, parce que j'ai tout fait: la musique, le drum, la basse. Je n'ai jamais fait un disque comme ça. J'ai travaillé en numérique."

Routine ennuyante

Blasé de travailler avec les mêmes gens (compagnie de disques, maison de production) depuis 15 ou 20 ans, Leclerc voulait éviter de retomber dans la routine.

"Je chantais des tounes, j'avais des hits qui revenaient à tous les shows, que le monde demandait. Ils voulaient toujours Isabelle, pis je trouvais ça plate. Puis, on m'a dit que j'allais faire un disque en France et ma réaction a été: Attends! Attends! Je vais pas me retrouver en Europe en train de chanter les vieilles tounes."

S'il ne renie pas la qualité de son travail antérieur, quoiqu'il le minimise en disant que "j'avais deux ou trois bonnes chansons par album", c'est la crainte d'être figé dans le temps qui lui revenait comme une idée fixe.

"Un jour, je suis allé voir un show d'un vieux chanteur.

Enfin, j'en ai vu plusieurs. C'est pas pour les insulter, mais ils chantaient les vieilles tounes qu'ils avaient écrites il y a 40 ans. C'était de très, très belles tounes, en passant. Je les regardais et je me disais: Ça n'a pas de bon sens comme c'est plate. L'idée d'être rendu là."

-Les Stones, Charles Aznavour?

"Et le reste. Je me dis tout le temps, ça sent l'hypothèque, ça sent le nouveau château, ça sent les enfants qui ont demandé une nouvelle maison et les autres qui ont besoin de se faire gâter."

La mise à mort

D'où les variations que l'ont avait pu mesurer lors des dernières années de Leloup.

"Je me demandais ce que je pouvais faire. J'ai mis sur pied un big band. La fois d'avant, je faisais de l'acoustique, je jouais du xylophone... À un moment donné, j'ai dit: Non, ça n'a pas de bon sens! J'étais vraiment écoeuré. Je me suis dit: Jean Leloup, il faut que tu arrêtes ça là. C'est fait. Tu l'as fait.

"C'est comme avoir connu des gens en secondaire 5, faire des partys avec eux, et rendu à 50 ans, tu fais encore les même partys avec les mêmes personnes. C'est le jour de la marmotte, la peur de changer... Donc, j'ai tué le personnage pour ne pas refaire des shows du passé et on verra ce que ça donnera."

Mexico
"Ça commence dark"

Première évidence à l'écoute de Mexico, M. Jean n'a pas perdu la main. Tant sur le plan musical que sur les propos tenus, les anciens admirateurs de Leloup, qui risquent fort d'être les actuels fans de Leclerc, devraient y trouver leur compte.

Un peu comme la chanson-titre mise en ondes il y a quelques semaines le laissait voir, Leclerc est plus près du groove que du rock. Globalement, on est plus proche de l'intention de Cookie que de celle de Nathalie.

Beat vaguement hip-hop pour Ice Cream, petite rythmique qui évoque Walk On the Wild Side pour Tangerine, reggae incontestable pour Horrible Fool, ballade mélodique années 1950 avec L'Innoncence de l'âme et instrumentale digne de Fiction pulpeuse par l'entremise de No Money No Home: au plan musical, Leclerc s'éparpille dans toutes les directions.

Rayon textes, la phrase "c'est ça l'erreur, exactement" (tirée du Malheur), est un clin d'oeil à Sous le soleil, exactement, de Gainsbourg, tandis que les titres Personne I, L'Église, Mes Amours mortes, Jarneton et Gringoire ainsi que Everybody Wants To Leave sont toutes livrés en forme narrative à des degrés divers, un procédé que Leclerc semble affectionner plus que Leloup. C'est dernière (sic) chanson est d'ailleurs plutôt vitriolique.

Has been et wannabe

"Everybody Wants To Leave, c'est une chanson pour les wannabe, les name dropers, dit Leclerc. Les gens que tu rencontres et que, au bout de cinq minutes, tu connais tous les gens connus qu'ils connaissent: moi, j'ai rencontré le producteur untel, il y avait de la business, le meilleur chum de Uma Thurman, je m'en vais travailler avec tel studio. C'est toujours extraordinaire. C'est big! C'est merveilleux! Et au bout de 10, 20 ans, il n'y a jamais rien. Pendant que ces gens-là parlent, tout le monde veut s'en aller."

Pour un disque que l'on pourrait qualifier d'album de retour ou de compact de la renaissance, Leclerc nous parle pas mal de mort et de violence: femmes qui assassinent leur mari violent (Mexico), macchabée qui disserte à voix haute sur les couples qui se tapent dessus (Personne I et Personne II), gars saouls (Le Malheur), suicide (Tangerine), etc.

"C'est vrai qu'il y a de la mort en masse. Ça commence dark, surtout au début de l'album"

Pouvait-il en être autrement? Après tout, Jean Leloup est mort, lui aussi.


Photos LE JOURNAL: "J'ai tué le personnage pour pas refaire des shows du passé et on verra ce que ça donnera", dit Jean Leclerc à propos de Jean Leloup.
Cet article contient aussi une image: [1]
page principale | articles: alphabétique | articles: chronologique | photos

Dernière mise à jour le 21 octobre 2006.
http://news.lecastel.org
Conception: SD