J'attends Leloup
par Stéphane Laporte
dans La Presse, 10 novembre 2002
Article

J'attends Leloup. Comme on attend Noël. Ou le printemps. J'attends Leloup. Comme on attend l'avion de quelqu'un qu'on aime beaucoup. Comme on attend l'heure d'un rendez-vous important. J'attends Leloup. En tapant du pied. Et en bougeant de la tête, comme si j'avais déjà ses chansons dedans.

J'attends le nouveau CD de Leloup, et je me sens, comme à 15 ans, quand j'attendais le nouveau 33 tours de Supertramp, d'Harmonium ou de McCartney. Le jour même de la sortie, tout de suite après l'école, j'allais chez Sam The Recordman. Je sautais sur la première copie que je voyais. Comme s'il y en avait juste une. Et je sortais du magasin, en tenant serré mon sac en plastique rouge et blanc. J'étais déjà content. J'entrais à la maison. Ma mère me disait que le souper était presque prêt. Mais je ne l'écoutais pas. Je m'enfermais dans ma chambre. J'ouvrais mon sac. Je regardais la pochette. La photo sur le recto. Longtemps. Comme si c'était un tableau de Chagall ou de Van Gogh. Puis j'allais au verso, lire le nom des tounes. J'avais hâte. Je lisais chaque nom en me demandant laquelle j'allais préférer. Puis j'enlevais le petit plastique transparent et je sortais le disque. En faisant très attention. Je le déposais sur la plaque tournante. Et je pesais sur le piton. L'aiguille se dirigeait vers le disque. La musique commençait. J'avais la piqûre.

La première fois qu'on écoute une nouvelle chanson, c'est comme la première fois qu'on embrasse quelqu'un. Soit qu'on dit ouache! Soit qu'on dit wow! Soit que ça nous fait rien. Mais la plupart du temps, on n'est pas sûr. On embrasse une deuxième, une troisième, une quatrième, une cinquième fois pour être vraiment certain. Et souvent, plus qu'on embrasse, plus qu'on aime ça. Plus qu'on veut embrasser encore.

Je pouvais écouter la première toune 10 fois en ligne. Et ma mère pouvait crier 10 fois Stéphane, viens souper! Finalement, je me résignais à aller manger. Et le dessert terminé, je retournais tout de suite dans ma chambre, tourner le disque de côté. Et je passais la soirée, la nuit, à le regarder tourner. Y'a ça de plate avec les CD, on peut juste les écouter. Dans mon temps, les disques, on les regardait jouer. La pomme verte des Beatles, j'ai dû la regarder tourner, plus que j'ai regardé la télé! Et dans le tourbillon des sillons, je voyais Strawberry Fields, Mother Mary, le soleil, la pluie, ma première blonde et ma première peine d'amour. Et dans le tourbillon des sillons, je voyais le temps passer.

Grâce à Leloup, le temps vient de rewinder. Me revoilà comme un ado qui capote pour la sortie d'un album.

J'attends Leloup. Comme un fan. C'est l'fun d'être un fan. Dans ce monde qui perd tellement son temps à parler dans le dos de tous et chacun, ça fait du bien de tripper sur quelqu'un. De le trouver juste merveilleux, juste extraordinaire, juste génial. Sans aucun mais.

Leloup, c'est le top. Leloup, c'est New York. C'est Beyrouth. C'est Paris. C'est Alger. C'est Hawksberry. C'est Montréal. Leloup est meilleur que bon. Leloup est fou. Comme Lennon était fou. Comme Charlebois itou. Il n'y a plus de fous dans la musique. Aujourd'hui, il y a surtout des gens qui veulent vendre des records. Des rockers qui souffrent. Des songés qui veulent nous montrer ce qu'ils savent. Mais pas de fous lâchés lousse. Qui racontent n'importe quoi. Les ondes sont contrôlées. Les ondes sont égalisées. Sauf quand c'est Leloup qui vient les faire grimper.

J'attends Leloup. Et je sais déjà que lorsque je reviendrai de chez Archambault avec son nouveau disque compact, le téléphone peut bien sonner, les e-mails s'alarmer, je vais tout arrêter. Et je vais l'écouter. Et si jamais, mais ça m'étonnerait, si jamais, je ne trippe pas du premier coup, je vais me dire que c'est moi. C'est moi qui ne comprends pas. Et je vais l'écouter à nouveau. En essayant d'aller le rejoindre là où il est rendu. Comme les Beatles avec Revolver, comme les Beatles avec l'Album blanc.

J'attends Leloup. Parce que je sais que je vais laisser jouer son disque d'un bout à l'autre. Que je ne ferais pas comme avec les autres. Écouter la troisième de tel album et la cinquième de celui d'avant. Leloup, c'est comme un grand cru. Ou un bol de chips. On en laisse pas.

J'attends Leloup. Parce que je sais que dans 10 ans, quand j'entendrai une toune de cet album là, tous mes souvenirs de l'hiver 2002-2003 seront dedans. Le sourire de ma blonde ce soir là, le souper avec les amis dans le Nord, le texte que j'ai écrit à minuit. Tout ça sera au rythme de ses chansons à lui.

J'attends Leloup. Et il me reste un gros trois semaines à attendre. Il sort de sa grotte le 3 décembre. Ça va être long. Heureusement, grâce à un ami attentionné, j'ai pu mettre la main, ce matin, sur son single Ballade à Toronto. Ça fait déjà 10 fois que je l'écoute...

«Tant qu'il y aura des étoiles sur le bord de la route
Nous devrons nous arrêter
Tant qu'il y aura des rivières
Nous pourrons nous baigner
Et tant qu'il y aura le feu
Nous irons peu à peu...»

C'est bon! C'est tellement bon!

J'en suis sûr. La fin du monde est le 3 décembre!

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Peter Gabriel commence à ressembler au Colonel Sanders. Ça ne nous rajeunit pas!

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Selon Interpol, ben Laden est encore en vie, cependant Interpol n'est pas certain si les Expos le sont aussi.

(Article original)


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Dernière mise à jour le 11 novembre 2002.
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