Ariane Moffatt - La bonne étoile
par Marc Cassivi
dans La Presse, 16 janvier 2007
Entrevue

Ariane Moffatt me donne rendez-vous au restaurant L'Atelier, boulevard Saint-Laurent. Demain, elle entame sa dernière tournée de l'album Le coeur dans la tête, qui la mènera de l'Abitibi en Gaspésie, puis à l'Olympia de Montréal, le 9 mars. Discussion sur la musique avec une artiste qui a la tête dans les étoiles et les pieds bien sur terre.

Marc Cassivi: Je trouve qu'il se fait vraiment de la bonne musique au Québec en ce moment, que ça brasse en particulier chez les jeunes. Ce commentaire m'a déjà valu une controverse (avec Jean Leclerc) que je n'ai pas nécessairement envie de ranimer, mais j'aimerais quand même avoir ton avis sur la question.

Ariane Moffatt: Charlebois aussi s'est prononcé sur les jeunes. Il doit admettre qu'il n'est pas du tout de la génération qui brasse. Il regarde ça d'un oeil extérieur. Son commentaire est dur, mais sa référence de ce qui est hip en ce moment, c'est Coldplay! Il faut savoir ce qui se passe pour émettre des opinions pareilles. J'observe la scène locale, je m'en nourris et je constate qu'il y a de moins en moins de clivage entre ce qui est supposément pop et ce qui ne l'est pas. Yann Perreau, Dumas et moi, on vend un peu d'albums, mais on se tient aussi avec des gens qui n'en vendent presque pas. Il y a une homogénéisation qui se produit dans le milieu de la musique, peut-être à cause des médias numériques qui pullulent, MySpace et tout ça. Tout devient égal. La norme, c'est la créativité. Ce que tu as à dire, le contenu, prend le dessus sur le reste.

M.C.: Lorsque j'ai fait ce lunch avec Véronique Cloutier, un peu après le gala de l'ADISQ, elle a remarqué que tu étais l'incarnation de l'artiste qui plaît à la fois aux critiques, parce que tu es très créative et que tu as une démarche artistique intéressante, et au grand public. Tu es devenue une vedette populaire!

A.M.: C'est drôle! Dans le Journal de Montréal, on m'a nommée chanteuse populaire de l'année, exaequo avec Céline Dion, alors que mon deuxième album s'est moins vendu que le premier et qu'il est un peu plus osé, disons.

M.C.: Ton deuxième disque est peut-être moins pop que le premier, mais à force d'écoute, je ne suis pas convaincu qu'il soit moins accessible.

A.M.: C'est un album de passage. J'avais de la difficulté à assumer le fait de faire de la bonne chanson pop. J'ai vécu un complexe de l'imposteur quand j'ai eu du succès avec Aquanaute. Je me suis demandé si mes chansons étaient populaires parce qu'elles manquaient de sub-stance ou de profondeur artistique. Mon deuxième album témoignait de ça. Aujourd'hui, j'ai transcendé ce sentiment-là. J'assume le fait d'écrire de la musique pop mélodique. Je trouve ma créativité dans la fusion des différents styles, mais j'aimerais peut-être que mon troisième album soit plus homogène.

M.C.: Tu te reconnais donc dans cette étiquette d'artiste populaire qui est aussi chouchou de la critique...

A.M.: Peut-être pas chouchou! Même si je n'ai jamais vécu d'embûches avec la critique. Ce n'est pas un jeu. J'essaie d'être authentique. Parfois ça peut faire mal de se dévoiler, mais il y a moins de détours. Je n'ai pas de plan de match. Mais je suis une fille aussi émotive que rationnelle. J'aime le côté business de la musique. Je ne m'en cache pas. Je n'ai pas une nature de bohème à l'extrême. Je veux vivre de mon métier, mais jamais au détriment de mes élucubrations et de mes recherches artistiques.

M.C.: Tu parles du succès, de ta conscience de ce qui est commercial et de ce qui l'est moins. Est-ce que tu penses que les jeunes musiciens d'aujourd'hui ont davantage conscience de ce que ça prend pour qu'une carrière dure? Es-tu préoccupée par ce que sera ta carrière dans 15 ans?

A.M.: Je me rends compte, en voyant les plus grands aujourd'hui, que c'est difficile de rester à l'avant-garde, d'être une référence toute sa vie. Il faut aussi être capable de prévoir que ces choses-là se transforment. Je ne suis pas dans les grandes planifications, même à moyen terme. Je crois qu'on a plusieurs vies dans une vie. Je n'ai pas peur d'essayer autre chose. Je ne pense pas à ce que sera Ariane la chanteuse à 40 ans. Mais je ne crois pas que ce soit réaliste de penser qu'on peut réussir, avoir la même popularité, très longtemps.

M.C.: En être consciente, c'est déjà s'armer contre le temps...

A.M.: Ça fait pitié un peu, les gens qui s'acharnent à vouloir rester populaires à tout prix. On a envie de leur dire d'arrêter de forcer ça.

M.C.: Pour plusieurs, c'est une dope. Une fois qu'ils y ont touché, ils cherchent sans cesse à retrouver le premier buzz.

A.M.: Je ne dis pas que c'est simple, le rapport à la popularité. C'est un dédoublement de sa propre image. Il y a Ariane Moffatt la personnalité publique, et celle que je découvre tous les jours. Ç'a déjà été difficile d'allier les deux. Mais plus ça va, et plus j'accepte que ce sont deux alliées. Mais je ne suis pas complètement détachée du fait qu'on me reconnaisse dans la rue. J'ai souvent dit que j'ai eu de la difficulté à vivre avec le succès. Mais j'espère que les gens n'ont pas pensé que je m'en plaignais! Il y a eu une adaptation à faire. Ce n'est pas vrai que c'est facile de faire fi du regard des autres. Aujourd'hui, j'apprécie de me faire dire que j'inspire des gens, qu'ils sont touchés par ce que je fais.

M.C.: Je reviens à Charlebois. C'est assez habituel à 60 ans de ne pas aimer la musique des gens de 20 ans. Quand il avait 20 ans, il y avait sans doute des gens de 60 ans qui ne comprenaient rien à ce qu'il faisait.

A.M.: C'est à la fois un réflexe adolescent, sa façon de se comparer. C'est plate à dire, mais son heure de gloire est passée.

M.C.: C'est un peu comme Leloup qui reproche aux jeunes leur manque d'engagement politique. À part 1990, je n'ai pas beaucoup saisi l'engagement politique de ses chansons...

A.M.: Quand Leloup dit que les jeunes ne sont pas créatifs et qu'ils ne se laissent pas aller, je me dis qu'on a tous notre façon de se laisser aller. Quand j'écoute ce qu'il fait, de plus en plus, je trouve que c'est dans un univers très contrôlé. C'est peut-être des tracks super sloppy de guitare, mais c'est toujours la même base de riffs, le même son. C'est relatif, ce qu'est l'abandon, la création, la folie.

M.C.: Où Leloup a sans doute raison, c'est quand il dit que notre génération je suis plus vieux que toi (j'ai 33 ans; Ariane en a 27) est plus straight que la sienne. Le fait que tu aimes le côté business de la musique... Je ne dis pas que tu es straight, mais tu me donnes l'impression de savoir, comme moi, où se trouve ta zone de confort, le cadre dans lequel tu te sens bien. Jean n'a pas cette préoccupation-là.

A.M.: La quête de l'équilibre dans la vie, je n'ai pas à me sentir mal de ça. J'en ai fait des burn-out. Je sais ce que c'est que d'être déstabilisée émotivement. Mais c'est important pour moi de garder le cap. On ne vit pas dans une télé. On ne vit pas sur un stage. C'est peut-être pour ça que Leloup a tué son personnage. Parce qu'il y avait une confusion entre l'homme et le loup...
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Dernière mise à jour le 19 novembre 2007.
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