J'essaie juste de m'amuser
par Alexandre Vigneault
dans La Presse, 16 septembre 2006
Entrevue

Jean Leclerc n'a pas l'intention de remonter sur scène, ni de rejouer les vieux succès de Leloup. Il veut encore jouer, mais seulement avec ses jouets flambant neufs !

Il a de la fuite dans les idées, Jean Leclerc. Il y a trois ans, il a couché son alter ego Leloup dans une tombe et fermé le couvercle. Fini les folies. Il avait déjà menacé de tout plaquer, mais cette fois, ce devait être la bonne. Il a même brûlé sa guitare préférée pour le prouver au monde entier... et s'en convaincre lui-même.

La scène de l'immolation de la six cordes, un clin d'oeil à Hendrix, a été filmée. Elle figure sur le DVD du coffret Exit. "C'est le film le plus rock'n roll de tous les temps! clame aujourd'hui Jean Leclerc. Brûler la guitare, je trouvais ça le fun. Je n'aurais peut-être pas dû le faire - c'est un instrument qui vaut assez cher, maintenant -, mais c'était le fun d'aller au bout de ça."

Il dit ne pas avoir de regret. Le soupçon de nostalgie qu'on devine chez lui lorsqu'il évoque la fin grandiose de sa Fender Jazzmaster 1969 est cependant révélateur. Jean Leclerc n'a pas liquidé Jean Leloup sur un coup de tête, mais il n'a pas non plus pris cette décision comme ces gens qui partent à la retraite après un long entretien avec leur conseiller financier.

"Quand j'ai arrêté, il y avait quelque chose qui m'agaçait, qui me rendait malade, mais je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus", dit-il. Il trouvait l'atmosphère "irrespirable". Il regrettait de ne pas disposer d'assez de moyens et de temps de studio pour faire de bons albums ("Je les trouve un peu boboches, en général, les disques faits ici"). Il trouvait que tout le monde se prenait trop au sérieux.

"Tout le monde a pensé que je tuais Leloup pour devenir moi-même, se rappelle-t-il. C'est tellement ennuyant! C'est comme la quarantaine, je trouve ça plate. Je ne vais pas aller jouer dans Annie et ses hommes. Ça ne me tente pas de faire le quadragénaire qui comprend."

Jean Leclerc l'avoue d'emblée: il trouve tout plate très rapidement. Il n'a d'ailleurs pas mis longtemps à se désintéresser de sa "nouvelle" identité. "Je n'avais pas trop pensé à ça, mais Jean Leclerc, c'est un peu ennuyant comme nom", dit-il. De retour à la case mystification, il a décidé de s'inventer un autre: Jean "Dead Wolf" Leclerc.

Cohérence éclatée

On n'a jamais vraiment cru à la retraite de Jean Leclerc, mais on ne s'attendait quand même pas à le revoir si tôt. Pas pour parler musique, du moins. Avant de publier un nouvel album, il devait tourner un film - c'est son nouveau dada - quelque part au Vietnam. Un film de "kung fu gore" au scénario forcément échevelé.

"On part, là, assure-t-il. Mais on ne va pas au Vietnam, finalement. On va en Thaïlande. Ou en chine. Avant Noël, on partir une gang et on va monter un film. On a déjà commencé, le scénario est écrit." Une folle scène où un travesti se bat dans un bordel aurait en effet été tournée le week-end dernier...

Paroles, paroles, paroles, tout ça? On verra bien. Contrairement à ce projet film, la sortie de son nouvel album n'a rien d'hypothétique. Mexico paraît mardi, un peu plus d'un mois après que la plupart des antennes commerciales aient levé le nez sur la pièce titre et une autre chanson intitulée Tangerine. Mauvais présage? Seulement pour ceux qui se laissent dicter leurs goûts par ces stations de radio.

Mexico est à la fois l'album le plus cohérent et le plus éclaté jamais créé par Jean Leclerc - même en incluant sa période Leloup. Inutile d'y chercher des tubes conventionnels, il n'y en a pas. Il ne faut pas chercher à dépecer cet album, en fait. Il s'apprécie mieux si on le prend comme une oeuvre à part entière.

Ice Cream rapelle l'esthétique copier-coller de Bran Van 3000, projet auquel Leloup a participé il y a quelques années. Elle débute par une annonce ("Mr Dead Wolf and his good business is now presenting Tangerine 444") et doit être comprise, en effet, comme un bande annonce. Mexico, l'album, est construit comme certain disques rap: introduction, chansons, interludes et conclusion.

"Ça fait longtemps que j'avais envie de faire autre chose que des enfilades de chansons, admet Dead Wolf Leclerc. On est à une époque où on peut tellement s'amuser (grâce à la technologie), pourquoi on s'emmerderait à faire des tounes de trois minutes en espérant qu'elles tournent à la radio? Pourquoi on s'empêcherait d'inventer des concepts pétés avec de la musique dessus?"

Fabuleuses guitares

Mexico se plaît à sortir du cadre. Les histoires pas jolies qu'il raconte voguent sur des guitares bien balancées et finement découpées. Jean Leclerc manie sa six cordes mieux qu'il ne l'a jamais fait depuis qu'il a commencé à le clamer sur tous les toits ("À quoi je joue? Je joue de la guitare?", ça vous rappelle quelque chose?). Ce qui ne veut pas dire qu'il ne manque pas quelques tours de tournevis ici et là.

"Tout ce qui est slack, c'est voulu, rétorque-t-il. L'important, c'est ce que je veux dire dedans. Si je trouve que c'est bien dit, je vais garder la piste même si c'est un peu croche. J'essaie de tout mettre droit, en général. Le problème, c'est que, quand tout est droit, c'est souvent ennuyant. Je n'arrive pas vraiment à faire des choses léchées, je n'ai pas la patience. L'avantage, c'est que j'ai le sens de l'urgence. Mais je vais aussi débouler l'escalier une fois de temps en temps."

Jean "Dead Wolf" Leclerc va-t-il faire des spectacles? "Ces temps-ci, ça ne me tente pas, parce que je n'ai pas d'idée originale", dit-il. La porte n'est pas complètement fermée. "Là où je trippe, c'est quand je joue de la guitare sur mon balcon, dit-il. J'aime bien jouer quatre tounes de suite dans un café, mais c'est assez."

Rejouer ses vieux hits? Repartir en tournée? Jean Leclerc s'emmerde juste à y penser. "Le show rock traditionnel existera toujours, mais je pense qu'on va vers une forme d'art bien plus pétée, bien plus éclatée avec des ordinateurs et tout ça. Si on ne le fait pas, ce serait comme si Hendrix s'était interndit d'utiliser la pédale wah-wah quand elle a été inventée."

Photos Dominique Thibodeau.
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Dernière mise à jour le 16 septembre 2006.
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