Lectures de Noël
par Pierre Foglia
dans La Presse, 19 décembre 2000
Article

Un roman pour Noël? Un superbe. Pas nouveau nouveau. Il est déjà en poche (chez 10/ 18), ça veut dire qu'il est sorti depuis au moins deux ans... Colum McCann, vous connaissez? Un jeune écrivain irlandais -ancien journaliste- qui vit maintenant à New York où il a situé son histoire. Cela s'appelle Les Saisons de nuit. Il y est question du métro de New York, de ceux qui l'ont construit, et de ceux qui vivent dans ses galeries... Cela n'a pas l'air très emballant comme ça, mais vous m'en reparlerez après Noël si vous avez la bonne idée de vous l'offrir pour les Fêtes...

Il y a là-dedans une Italienne qui marie un Noir, ils ont un enfant et un jour la mère, l'Italienne, fait quelque chose d'assez épouvantable -je ne vous dis pas quoi-, et plus tard elle écrira cette lettre à son fils: Je porte ça en moi comme le fardeau le plus lourd du monde, je ne te demande pas de me pardonner. Je veux que tu comprennes. Je crois que la compréhension est plus importante que le pardon.

Je n'y avais jamais pensé avant, mais je trouve que c'est une sacrée belle idée: on devrait arrêter de pardonner, c'est prétentieux comme tout.

LE VIEUX DÉGUEULASSE

Je ne suis pas un lecteur de biographies. Mais Bukowski, c'est pas pareil. Charles Bukowski est l'auteur qui m'a le plus marqué comme adulte. Il y a eu Céline quand j'étais petit et Bukowski quand j'étais grand. Des millions d'autres auteurs m'ont apporté un plaisir fou, mais les deux qui m'ont «structuré», qui ont changé ma façon de lire (et forcément d'écrire), ce sont ces deux-là, Louis-Ferdinand Céline et Charles Bukowski.

Je me suis souvent demandé pourquoi ce vieux dégueulasse me remuait tant. C'était (il est mort) un ivrogne. Je suis incapable de supporter les ivrognes. C'était une grande gueule, un violent, un fouteur de merde, un mot le résume parfaitement: asshole. Dans ses livres, il boit, il baise, il déconne abondamment. Et je me disais, ce que j'aime finalement, c'est que ce type-là n'est pas un écrivain. Bukowski a fait tous les métiers, surtout celui de facteur, il écrivait le soir en buvant des tonnes de bière. C'est ce que j'aimais. La contre-littérature.

Je viens de finir sa biographie écrite par un Anglais qui a fait une super job, rigoureuse, documentée, sans complaisance. J'avais tout faux. Bukowski n'est pas du tout un type qui écrivait comme ça, le soir, en buvant des tonnes de bières. Il écrivait tout le temps. Il écrivait, il écrivait, il écrivait, et, quand il restait du temps, il vivait un peu, si peu. C'est tout le contraire de ce que je vous ai dit. Au centre de sa vie il n'y avait pas la vie, il y avait l'écriture.

L'écriture comme survie. Ce gros con, cette montagne de vulgarité pleurait comme un enfant quand il n'était pas publié. L'écriture comme survie. Comme un chant magnifique, inspiré. Bukowski n'a pas arrêté d'écrire qu'il était un gros dégueulasse -Erections, Ejaculations, Exhibitions and General Tales of Ordinary Madness, c'est le titre d'un de ses livres les plus connus-, comme Nietzsche n'a pas arrêté de répéter tout sa vie qu'il préférait être un satyre plutôt qu'un saint. En réalité Nietzsche était bossu et syphilitique.

En réalité Bukowski était écrivain. Chacun sa vérole.

UN AUTRE MONSTRE

Ce qui m'amène au poète Denis Vanier, mort en octobre dernier. Un autre monstre. Une autre plaie vive. Un autre fou d'écriture. Saisi d'une telle urgence de dire qu'il téléphonait parfois le poème qu'il venait de griffonner à son éditeur (François Hébert, des Herbes rouges). Il le faisait encore quelques jours avant sa mort. Denis Vanier disait qu'il avait le sida. N'importe quoi pour brouiller les pistes.

En réalité, Vanier était écrivain. Chacun sa déficience particulière du système immunitaire.

PAS CELUI-LÀ

Ce qui m'amène à Jean Leloup samedi soir à Radio-Canada entre les nouvelles de 22h et le film de fin de soirée. Comme un peu de moutarde entre deux tranches de pain. Mais où donc était la saucisse?

Ce long vidéoclip d'une heure, que ses fans réclamaient à grands cris, accusant la censure, on sait maintenant pourquoi on ne nous le montrait pas et pourquoi on s'en est débarrassé à la sauvette: parce que c'était nul.

Une recette connue. On juxtapose des flashes surréalistes, et on espère qu'ils vont fabriquer, sinon du sens, un climat. Ça marche dans les chansons. Dans un film d'une heure, ça marche pas. Ça montre que ce type qui chante pas pire ne sait pas du tout écrire.

En réalité Leloup n'est pas un écrivain. Pas cinéaste. Pas acteur. Juste un peu chanteur. Chacun son insignifiance.

Ce qui m'amène à Beckett. Cette citation. No matter. Try again. Fail again. Fail better.

L'ANONYMAT

Cette grande photo de Plamondon, samedi, en haut de la première page de notre cahier Spectacles. Ce titre imposant: PLAMONDON EN IRLANDE. Et en plus petit dessous, mais quand même assez gros: En quête de solitude et d'anonymat.

Plus anonyme que ça, je vois juste un peu de cole slaw dans son petit pot en papier plissé.

DEMANDE D'EXPLICATION

Grande entrevue de Richard Desjardins à la une du Mouton noir, journal d'opinion et d'humeurs du Bas-du-Fleuve. «Depuis toujours, dit Richard Desjardins, je suis politiquement et intellectuellement obsédé de savoir pourquoi les Québécois exigent d'Ottawa ce qu'ils n'accordent pas aux Indiens? Y'aura pas de véritable débat sur la question nationale tant qu'on n'aura pas fait la paix avec ceux QUI ÉTAIENT ICI AVANT NOUS.» Les majuscules sont de moi.

Juste une remarque, Richard. On accorde l'indépendance aux Amérindiens, comme tu sembles le souhaiter. On leur donne le Québec, puisqu'ils étaient là avant nous. Nous les Blancs, on garde juste la Haute-Yamaska. Mais comme on risque d'être peu tassés, vas-tu venir t'installer dans mon champ avec ta petite famille en me disant: J'ÉTAIS ICI AVANT TOI?

Ce serait tout à fait vrai, remarque bien. Mais essaye pas, OK.

ENCORE UN CADEAU

C'est Noël après tout, allez, je vais y aller d'une autre petite suggestion de cadeau littéraire, ça s'appelle La Déchéance du spermatozoïde. C'est un album, des soliloques dessinés qui mettent en scène un personnage très sommaire et très déprimé. Par exemple, il regarde par la fenêtre et il dit: De ma fenêtre je regarde encore parfois les filles... un peu comme un noyé regarde passer des nageuses.

Suicidaires s'abstenir.

Mais vous pouvez aussi vous acheter les petites proses en forme d'atocas de Daniel Bélanger. Ça accompagne bien la dinde, je trouve.

(Article original)


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Dernière mise à jour le 8 janvier 2001.
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