Y A-T-IL PÉNURIE DE SALLES À MONTRÉAL?
par Alain De Repentigny
dans La Presse, 20 janvier 2007
Article

Montréal n'a jamais compté autant de petites salles de spectacles. Mais le peu de salles disponibles pouvant accueillir plus de 1000 spectateurs est un problème réel pour les créateurs et les diffuseurs. nous en avons discuté avec des producteurs et acteurs importants du milieu du spectacle montréalais.

Y a-t-il pénurie de salles de spectacles à Montréal? Oui, répondent en choeur les producteurs que La Presse a interviewés, même s'ils ne s'entendent pas toujours sur la nature de la salle manquante: une salle multi-fonctionnelle de 4000 ou 5000 places, un théâtre pouvant accueillir environ 2000 spectateurs ou un autre de 400 places. Tous reconnaissent que Montréal a besoin d'un théâtre pouvant accueillir des comédies musicales et ils déplorent unanimement l'échec du projet de salle du Cirque du Soleil dans le casino du bassin Peel.

"Oui, il y a une pénurie de salles, affirme Paul Dupont-Hébert, vétéran producteur de spectacles et vice-président de Zone 3 qui a monté plusieurs comédies musicales (Notre-Dame de Paris, Dracula). Si demain, Bruno Pelletier et Sylvain Cossette veulent monter une comédie musicale sur la vie de Simon et Garfunkel, il faudra d'abord voir quelles dates sont disponibles au Saint-Denis. Si on voit un spectacle intéressant en voyage, on ne peut pas l'acheter. On n'est pas à la merci du spectacle, on est à la merci des salles. C'est vrai ailleurs aussi: on va faire Dracula en France, on visait 2007, mais j'ai seulement des dates pour 2008."

Même son de cloche chez Gilbert Rozon, président du groupe Juste pour rire. "Je constate qu'il y a un vrai problème de salles dans d'autres villes qui sont créatives, Londres, New York, Paris, dit-il. Ici, il manque un théâtre de 400 places (le Saint-Denis 2 est monopolisé par les humoristes) et probablement qu'on a besoin d'un Zénith (salle multifonctionnelle de Paris d'une capacité de 5000 places), mais le vrai problème, c'est une salle de comédie musicale de 1300 à 2000 places, entre le Maisonneuve et le Saint-Denis, comme le Mogador, comme à Broadway."

Rozon va plus loin. Selon lui, les producteurs de spectacles québécois ne font pas travailler leur imaginaire autant qu'ils le pourraient: "On ne peut même pas penser à de nouveaux projets, on n'a pas les salles."

Un problème ponctuel?

En juillet 2005, Bruce Springsteen est allé chanter à Ottawa plutôt qu'à Montréal parce que Juste pour rire occupait le Saint-Denis, Mamma Mia était à Wilfrid-Pelletier et Notre-Dame de Paris au Centre Bell. Mais sagit-il d'un problème ponctuel propre à la saison des festivals? Une nouvelle salle serait-elle rentable à longeur d'année?

"Si demain matin, on avait une nouvelle salle de 2000 places, le marché serait secoué, mais le marché évolue en fonction d'une plus grande offre culturelle. Il y a 15 ans, nos salles étaient vides l'été, aujourd'hui elles sont toutes pleines", affirme Rozon.

"Comme créateurs, comme producteurs, on aimerait avoir plus de salles, renchérit Dupont-Hébert. Disons que dans la région de Montréal on a un public de 300000 spectateurs pour la comédie musicale; il pourrait facilement passer à 400 000."

Jacques Primeau, agent de RBO et des Denis Drolet, et l'un des principaux promoteurs du Quartier des spectacles, estime lui aussi qu'il manque une salle entre le Métropolis et le Saint-Denis. "Souvent, on veut mettre une supplémentaire sur pied, parce que les billets se vendent mieux qu'on pensait, mais le délai est beaucoup plus long. Avant, les producteurs réagissaient en fonction du public, plus maintenant."

Bien sûr, la salle de l'OSM devrait désengorger Wilfrid-Pelletier en 2011, mais "on oublie que René Lévesque a fait la première pelletée de terre pour la salle de l'OSM en 1982!" rappelle Primeau.

André Ménard, vice-président d'Équipe Spectra, abonde. Pour les comédies musicales comme Joe Dassin - La grande fête musicale ou même pour le groupe Air Supply, son Métropolis ne convient pas au public de baby-boomers qui cherche un certain confort. Pour lui, la seule solution, c'est le Saint-Denis qu'il faut réserver longtemps d'avance.

C'est pour cette raison que Ménard, comme Paul Dupont-Hébert, a appuyé publiquement le projet du Cirque du Soleil au casino du bassin Peel, en décembre 2005. Dupont-Hébert parle d'un rendez-vous historique raté. "C'était une des seules fois que le privé investissait dans un projet comme celui-là et ça prenait une société d'État (Loto-Québec) avec beaucoup d'argent."

Dupont-Hébert a l'impression qu'un nouveau théâtre serait très occupé: "Mais il faut faire une entente avec le Cirque. Le projet du Casino n'était pas un flash égaré de Loto-Québec, le Cirque est le leader mondial du divertissement."

Gilbert Rozon regrette lui aussi que la salle du Cirque du Soleil n'ait pas vu le jour. "C'est peut-être un choix de société, mais alors pourquoi ne pas dire carrément qu'on ferme le Casino?" Pourtant Rozon ne croit pas que cette salle aurait réglé les problèmes de congestion que l'on constate aujourd'hui. "Mon feeling, dit-il, c'est que la salle du Cirque aurait été occupée à longueur d'année, peut-être qu'on n'aurait même pas pu la louer. Le jour où on aura une salle pour les comédies musicales, à mon avis, elle va être pleine en 24 mois. La force du Québec depuis 50 ans en culture, c'est que souvent on a créé le moyen de diffusion d'abord, l'offre culturelle a suivi et les salles se sont remplies."

Le problème du Spectrum

Qui donc aujourd'hui investira de sa poche pour construire une nouvelle salle de spectacles? Rozon s'étonne qu'un gros groupe américain comme Clear Channel ne se soit pas déjà manifesté. "Ils achètent des salles et exploitent le stationnement, la billetterie, les concessions... Il faut une sorte d'intégration verticale."

À court terme, estime Jacques Primeau, "le problème qui nous pète dans la face, c'est la salle de 1000 places qu'on n'a plus, Le Spectrum accueillait au moins 150 spectacles par année, ce n'est pas rien. Peut-être que 50 de ces spectacles n'auront pas lieu à Montréal."

André Ménard, l'âme du Festival de jazz et du Spectrum, reconnaît que la boîte de la rue Sainte-Catherine vivait sur "du temps emprunté" et qu'il était hors de question d'y faire des investissements nécessaires si on n'avait pas l'assurance d'y rester. "Si le Spectrum est redéployé ailleurs, dit-il, il y aura au moins 1300 places assises, donc une salle plus grande avec la même flexibilité."

Mais il n'y a encore rien de concret dans l'air et Spectra aurait sans doute attendu avant d'annoncer la fermeture du Spectrum si LaPresse n'avait pas annoncé la nouvelle.

Paul Dupont-Hébert, qui était associé aux jeunes Alain Simard et André Ménard dans les années 70, s'attend à ce que le Spectrum ressuscite un jour. "Le Festival de jazz est assez fort pour véhiculer politiquement le projet d'une salle, dit-il. Mais on va l'avoir dans cinq ans et ça va coûter 25 millions. Alors qu'on l'avait et que ça aurait coûté de 7 à 10 millions pour la retaper."
Cet article contient aussi une image: [1]
page principale | articles: alphabétique | articles: chronologique | photos

Dernière mise à jour le 19 novembre 2007.
http://news.lecastel.org
Conception: SD