Moins fort dans les oreilles, plus fort entre les oreilles
par Alain Brunet
dans La Presse, 27 septembre 2000
Entrevue

Ça ne sera pas vraiment acoustique. On aura des micros, on sera forcément amplifiés, mais ce ne sera pas aussi fort qu'avant. Quand tu joues ainsi, tu peux virer plus facilement à gauche ou à droite, tu peux caller des shots! Très énergique quand même. Ni calme ni lent. Personne n'est supposé s'endormir", prévoit le chanteur, affichant une forme dangereuse.

À compter de ce soir et jusqu'à samedi au Spectrum, à peu près partout à guichets fermés au cours des mois qui viennent, Jean Leloup ne se sera pas converti à la formule unplugged, ce succédané d'authenticité. L'économie de moyens n'est pas une stratégie marketing justifiée par des restrictions budgétaires, assure notre homme. Son choix est éditorial.

Jean Leloup est d'une cohérence pour le moins rassurante en cet après-midi ensoleillé. Tellement là, Leloup, qu'il accepte de poursuivre l'entretien le matin suivant parce qu'il est arrivé en retard! Pour une bonne raison: son lévrier s'est cassé une patte dans un fossé lanaudois - l'artiste vit désormais non loin de Joliette.

«Le fait de baisser le volume et de faire un trip de gitan plutôt que de rockeur, ça t'enlève complètement cette idée de grenouille qui veut être plus grosse que le boeuf. Les gros systèmes de son, le gros volume, ça va chercher chez les gens l'impression d'être gros. Ça va chercher le Budweiser en toi! Tu prends un kid de 17 ans, tu lui donnes un énorme système de son, du gros volume, une foule énorme, une énorme marque de bière, tout le monde est saoul, tout le monde trouve ça big. Grosse Corvette, p'tite kékette... Les gitans, eux, jouent leur musique avec une très grande énergie et ils n'ont pas besoin d'autant de volume pour se déniaiser. C'est ce que je voudrais atteindre.»

Leloup n'a donc plus de guitariste lead à sa droite, plus de Mark Lamb dans sa bergerie. Alex Cochard officie la basse, le batteur Stephen Gaudreault participe à l'érection du groove.

«J'étais tanné du gros bruit, des grosses répétitions. J'en étais venu à croire que c'était de la fausse musique. Finalement, on a répété dehors tout l'été. Dans les parcs, sur la pelouse. J'ai préparé les grooves, je me suis appliqué à maximiser la communication entre les gars, j'ai fait en sorte qu'on développe les tounes comme de vrais musiciens.

«Ce que je cherche depuis longtemps, c'est la communication entre musiciens. Une boucle préenregistrée fige la chanson. Lorsqu'on ne compte que sur la relation entre musiciens, la chanson peut aller plus bas, mais elle peut aussi aller plus haut. Moi, ce que je cherche, c'est le high que procure la communication entre musiciens. Jimi Hendrix et Bob Marley n'auraient jamais pu faire une musique aussi high avec des machines. Au lieu d'être des vedettes, donc, on devient de vrais musiciens.»

Charrie pas, Leloup. C'est toi le phare de la pop québécoise, tu le sais. T'as quand même fini par digérer ta célébrité, non? Il sourit.

«Ouais. À ce titre, ça va très bien. Le truc avec la célébrité, c'est qu'il ne faut pas en parler. Les artistes qui trouvent ça dur que les gens les regardent dans la rue, plus ils en parlent, plus ils vivent leur malaise. Alors, il ne faut pas y penser.»

Le messie

Après de longues années d'instabilité, Leloup semble avoir chassé ses bibittes, tout en sachant très bien comment un chanteur peut s'égarer avec sa célébrité.

«Les gens ne veulent pas que tu sois juste un chanteur, ils veulent que tu sois un messie. Le gars des Colocs qui s'est suicidé, on lui demandait d'être le Christ parce que plusieurs de ses chansons étaient engagées. Moi, ç'a été la même chose; aussitôt que je faisais une toune engagée, on insistait pour que je défende une cause.»

La cause de Leloup se limite à une seule et unique chose: faire du bien avec ses chansons. À cela s'ajoute la reconquête de l'âme musicienne, plus ou moins détruite dans les moeurs modernes.

«Je reviens d'Australie et de Nouvelle-Zélande, c'était plutôt plate. Le monde est rendu partout pareil dans les pays riches. Dans les pauvres, les gens sont moins gâtés, moins consommateurs, ils vivent davantage avec leur âme créative au quotidien. Ils chantent et dansent. Je suis en train d'allumer sur cette envie de vivre cette âme-là.»

Au cours des prochains mois, Leloup va chanter, jouer de la guitare, casser plein de nouvelles chansons. Il est même question de séances en studio, un album finira bien par sortir de tout ça. Après quoi, il compte traverser la grande flaque, s'y installer pour un an ou deux.

«J'ai envie d'être là-bas pour travailler, pour vraiment faire le trip.»

La fenêtre française était grande ouverte il y a dix ans. Leloup n'avait pas vraiment profité du momentum créé par son tube d'alors (1990). Et maintenant? Comment percer à 39 ans? Un Québécois qui n'est pas dans la chapelle de Notre-Dame de Paris ou dans le giron de Céline Dion peut-il espérer percer dans l'Hexagone? Jean Leloup n'est pas inquiet.

«Je vais n'importe où avec mes musiciens, je prends ma guitare, on joue. J'ai pas de misère à pogner, c'est comme ça depuis que j'ai 12 ans, pis j'en ai 39. Je me pointe quelque part, le monde trippe. C'est mon métier, je suis un vrai. Comme un vrai mécanicien. Je ne fais pas ça parce que je veux être vu.

«Je n'ai pas refait la France parce que je n'avais pas accompli ce que j'avais envie d'accomplir. Je ne trouvais pas ça assez bon. Là, avec les nouvelles tounes que je suis en train de finir, j'ai l'impression d'atteindre quelque chose. Prendsic Les Orchidées, une nouvelle que je vais chanter au Spectrum. Ça se passe dans l'avenir, tout va bien sur terre, on a réussi à endiguer la pollution, la surpopulation, il n'y a plus de guerre, tout est bien régi par un programme général accepté par tous les humains. Mais on commençait à s'ennuyer... s'il n'y avait pas eu cette pluie d'orchidées.»

Sobre Leloup

Il en fumé du bon, vous dites? Jean Leloup ne fume pas d'herbe gorgée de THC, ne renifle pas la moindre poudre blanche, n'avale pas de psychotrope en cachet, ne se plante pas d'aiguille dans le bras. Droit dans la tête, Jean Leloup affiche une sobriété exemplaire.

«J'ai déjà été moins cohérent, admet-il. Je me suis débattu contre une adolescence que j'avais moi-même prolongée. Ma tête a souvent décollé. J'ai pris des risques, j'ai pas mal exagéré. Je pensais atteindre le moment où ça serait correct... pis ça me faisait toujours pas. Là, c'est cool.»

Non, Jean Leloup n'est pas entré dans une secte pour mettre fin à ses dépendances. N'affiche aucun dogmatisme, ne manifeste pas le moindre prosélytisme antidrogue.

«Ce qui m'a calmé dans la vie, ce fut d'abord le fait d'être mal à l'aise avec les enfants quand j'étais stone. Si j'ai consulté? Pas vraiment... C'est sûr qu'à un moment donné, j'ai vu du monde à ce sujet, mais c'était une évidence. Je ne consomme plus rien parce que ça me fait pas. Simple comme ça. J'ai aussi arrêté la cigarette et j'ai pris 30 livres - j'en ai reperdu depuis! Je fumais deux paquets par jour. Les poumons m'ont déjà décollé... Je suis pas mal risqueux.

«Maintenant, je me sens bien dans ma tête. À un moment donné, il faut prendre le contrôle de son âme. Moi, c'est comme ça que je suis heureux maintenant. Les gens ont besoin de bonne musique et de bons textes, j'essaie de travailler mieux ma musique et mes textes. Je me suis dit que dans le fond, le monde est pt'têt pas bien, mais on va en changer un p'tit boutte.»

Moins fort dans les oreilles, beaucoup plus fort entre les deux oreilles.

Photo Rémi Lemée, La Presse. Jean Leloup se produit jusqu'à samedi au Spectrum. Les spectacles prévus du 16 au 19 novembre au Spectrum sont également à guichets fermés. Il reste quelques billets pour la supplémentaire prévue au Métropolis le 12 octobre.

(Article original)


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Dernière mise à jour le 27 novembre 2000.
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