Jean Leloup décolle au Théâtre du Forum et illumine la dernière soirée Rock le Lait
par Alain Brunet
dans La Presse, 3 octobre 1993
Critique

Vers 23h hier, le Théâtre du Forum était devenu le Manoir de Jean Leloup, là où le plafond est par terre.

J'étais d'ailleurs sur le parterre, dans la rangée E, debout sur ma chaise. Par obligation professionnelle d'entrée, par pur plaisir à la fin.

Leloup bouclait ainsi la boucle de la tournée Rock le Lait. En transe dans ses habits noirs, nouvellement porté sur les beats lents et pesants, les guitares plus «arrachées» que jamais, il faisait fondre ses rimes dans un magma de décibels. Chaud, le magma. Brillant aussi.

Capoté comme on le connaît, l'iconoclaste Leloup aurait même incité son guitariste Yves Desrosiers à fracasser son instrument. Comme dans le bon vieux temps!

Leloup qui fait jaggerien avec sa moue, scandant les couleurs rouge ou jauuuuune.

Leloup, un de ces garçons comme ça qui ne s'arrêteront pas, rien à faire il (enfin) exagère.

Leloup qui honore Edgar (Allan Poe), dont les histoires étaient truffées d'assassins qui l'emportaient haut la main.

Leloup qui thinks about you yeah.

Leloup qui nous emmène dans sa première fugue adolescente, débarquant dans un Baie-Comeau rose - aurait-il, par hasard, aperçu un Brian bleu dans son périple?

Leloup qui veut reprendre sa liberté...

Je-de-viens-fou-si-on-m'l'en-lève!

Isabelle, L'Escargot, Cookie et ses autres tubes étaient livrés avec plus de corrosion et d'irrévérence que jamais ils ne l'ont été auparavant. Qui plus est, le répertoire du dernier volet de cette soirée Rock le Lait était constitué de près de la moitié de nouveau matériel. Leloup a du front! Casser ses chansons neuves au... Forum!

4000 fans

Un peu moins de 4000 fans de nouveau rock québécois étaient donc au rendez-vous.

Majorité post-pubère-jeune-adulte (je n'ai néanmoins pas vu un verre de lait se boire...), enthousiasme remarquable et surtout, connaissance accrue de chaque rime au menu.

Avant que Leloup ne décolle et s'avère le point le plus lumineux de la voie lactée (...), le groupe Vilain Pingouin et France D'Amour se sont également fait applaudir à tout rompre. Les deux premières prestations n'avaient, en fait, rien des premières parties auxquelles nous sommes habituellements conviés dans ce mythique amphithéâtre.

Rudy Caya et ses comparses ont ainsi porté leur Roche et roule en fusion, scandant de façon fort convaincante leur rock aux thématiques réalistes, critiques, très séduisantes pour tout ti-cul en train de se familiariser avec l'humanisme progressiste. Les guitares étaient vigoureusement tricotées, les rythmes s'abattaient sur tous les plexus disponibles.

«Un hesti d'rush!», a confié Caya, ébahi d'être sur la scène du Forum. Un rêve que tout rockeur d'ici caresse. Le Pingouin nageait dans le bonheur à ce point qu'il a suggéré à la foule de pointer le majeur vers le plafond, à l'unisson. «Une façon heavy metal de dire je t'aime», blaguait-il.

France D'Amour a fait du chemin

France D'Amour, qui s'est jointe à nos palmipèdes pour interpréter Sous la pluie, a aussi livré, en début de programme, une prestation plus qu'honnête.

Jeans patchés, t-shirt moulant et rustique veste de cuir, la jolie France arborait un look «après-midi à la ferme». Pour vous dire que cette boule d'énergie n'avait rien de chromé. Et qu'elle a fait du chemin depuis qu'elle a amorcé sa carrière solo l'an dernier. Hier soir, en fait, l'impression de «set de club» s'était totalement dissipée.

Et si France D'Amour, étonnamment à l'aise sur cette scène intimidante, peut parfois chanter des banalités (si j'avais la chance de remplir ton absence...), elle m'apparaît beaucoup moins banale que prévu.

Et même si son rock a des allures «corporate» pour l'instant (lourd, bien exécuté, mais décidément trop propre), tout laisse croire que cette petite futée pourra se dégager de ces clichés. Et en surprendre plus d'un.
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Dernière mise à jour le 26 mars 2003.
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