Leloup joue au rebelle
par Bruno Dostie
dans La Presse, 4 avril 1991
Critique

Avouez que si Elvis Presley avait caché en lui un petit Brecht facétieux, plus soucieux de distanciation et de parodie que de véritable séduction, ne jouant jamais du pelvis qu'au «second degré», avec clin d'oeil obligatoire au public chaque fois, le rock'n roll ne serait pas allé bien loin.

D'une certaine façon, c'est ce qui se passe avec Mister Leloup et la Sale affaire, dont c'était hier soir au Club Soda, la «première» d'une première grande tournée du Québec.

À court terme, le succès semble en être assuré. On annonçait d'ailleurs hier des supplémentaires pour les 23, 24 et 25 mai au même endroit.

Mais à plus long terme, tout ce que son spectacle a de rafraîchissant et de divertissant risque de se retourner contre lui, de le ramener à la dimension d'un simple jeu, qui aura tôt fait de lasser ses adeptes, lorsqu'en grandissant, ils voudront jouer à l'«affaire» pour vrai.

Cette référence à l'âge n'est pas surperflue. Hier soir, la salle semblait en effet être partagée en deux. D'un côté les «invités», pour la plupart de ma génération, et pour la plupart très réservés. À l'âge où ils voyaient leurs premiers shows rock, Jean Leloup avait cinq ans. Et l'autre moitié de la salle, celle qui manifestait un certain enthousiasme, n'était pas née.

Mais même ces jeunes-là semblaient participer à un jeu. Sans oser aller jusqu'au bout de leur envie de jouer au «punk». Car dans l'espace qu'on avait dégagé au pied de la scène, où ils dansaient avec timidité, quelque chose semblait encore les empêcher de «slammer». Peur de s'estropier, ou peur du ridicule, on ne saura jamais. Mais toujours est-il que le délire se faisait encore attendre au moment où j'ai dû quitter pour écrire ces lignes. Et je ne peux qu'en garder cette impression que tout ça restait un jeu parce que ça n'avait rien de viscéral.

Le rock'n roll, en effet, n'a rien de drôle. Il ne s'agit plus de «jouer au docteur». Qu'il s'agisse de passion dévorante ou de frustration intolérable, de révolte ou de rage, de peur, de mort, il parle du fond des tripes des émotions les plus vraies.

Les musiciens font pourtant tout leur possible. Les guitares, la basse, la batterie, dégagent toute l'énergie qu'il faut. Des accords les plus crasses à la spontanéité la plus débordante, tous les éléments du rock sont bien là. Sauf qu'avec ses textes trop spirituels et ses interprétations trop parodiques, le chanteur désamorce tout ça à mesure.

Si bien que son Étrangleur par exemple, devient du «boulevard», là où Midnight Rambler, l'«étrangleur» des Stones, est de la dynamite.

Encore une fois, l'allusion aux Stones n'est pas gratuite. La musique de la Sale affaire est bourrée de référence sonore à leur rock comme à tout celui du courant auquel ils appartiennent. Mais ces patriarches millionnaires, qui sont à veille de fêter leur trente ans de carrière, ont toujours réussi à nous faire croire qu'ils étaient de vrais rebelles.

Jean Leloup n'essaye même pas. C'est délibérément qu'il joue au rebelle en prenant bien soin qu'on sache tout le temps qu'il joue.

Dans l'état actuel de la scène québécoise, il était sans doute salutaire que quelqu'un nous rappelle qu'on se prenait trop au sérieux. Qu'on revienne à la simplicité, à l'absence de prétention, à l'humour, à l'auto-dérision, bref au jeu et à la fête. Mais dans toute fête, on finit par regarder autour, par avoir envie de «monter en haut». Ça marche ou ça marche pas. Mais qu'on ait les bleus ou qu'on plonge tête baissée dans un jeu plus dangereux, c'est alors que le vrai rock, que la vie commencent. Jean Leloup se contente de tourner autour.
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Dernière mise à jour le 2 septembre 2003.
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