Jean Leloup entretient soigneusement son image d'enfant terrible du rock!
par Presse Canadienne
dans La Presse, 5 avril 1992
Entrevue

C'est par un doigt d'honneur que Jean Leloup répond à notre question.

Quelle question: «Le succès vous a-t-il ramolli?»

Il semble que non. Après tout, Leloup, le mauvais garnement du rock québécois, doit entretenir son image.

Son curriculum vitae est d'ailleurs éloquent. Jugez-en!
- Il a appris à battre le tam-tam alors qu'il était tout jeune, dans la brousse africaine du Togo.
- Il a appris à jouer de la guitare dans un quartier déshérité, en Algérie.
- Il a donné des interviews dans son bain.
- Lors d'une panne d'électricité, alors qu'il donnait un récital à Montréal, l'an dernier, il est sorti à l'extérieur et a grimpé sur une auto-patrouille de la police pour donner la sérénade à ses admirateurs.
- Un de ses succès, «1990», le voit décrire la guerre du Golfe, à la télévision, tout en faisant l'amour avec sa petite amie.
- Son album «L'Amour est sans pitié» lui permet d'utiliser le mot «f...» dans les deux langues officielles du pays.

Quand le scandale rapporte

Le chanteur-chansonnier de 30 ans entre d'un pas saccadé dans le bistro où nous nous sommes donné rendez-vous et, avant même d'amorcer la conversation, demande le menu.

Malgré son gilet noir, l'ombre qui commence à s'appesantir sur les lieux, l'épaisse fumée de cigarette et son langage fortement teinté de jurons, Leloup ressemble beaucoup plus à un étudiant en art dramatique qu'à l'enfant terrible que tous décrivent.

«J'étais complètement fou, il y a deux ans, concède-t-il. Aujourd'hui, avant de déclencher un scandale, je me demande toujours combien ça me rapportera...»

Aujourd'hui, Leloup fait payer cher ses frasques et son talent. 1990, une ballade attachante, a atteint le N° 1 au hit-parade québécois et, la semaine dernière, a figuré en 33e place sur le Top 50, en France.

Leloup et son ensemble, Sale Affaire (sic), offrent une sorte de rock rétro.

Devant sa soupe aux légumes, il explique que sa réputation de mauvais garnement n'est qu'une preuve qu'il dérange le milieu culturel «trop calme et imbu de lui-même» du Québec et que sa véritable personnalité est différente de celle qu'on lui fait.

«On me dit trop coléreux, trop laid, trop extroverti, trop extravagant pour la société québécoise», soutient-il.

Pas d'idées?

Ses idéaux politiques, ou plutôt son manque d'idéaux politiques, en ont également fait un être à part pour la très grande majorité de nationalistes qui forment la colonie artistique québécoise.

Il était inéligible en 1991 pour le prix remis par l'industrie du disque au meilleur album, sous prétexte que trois des chansons de «L'Amour est sans pitié» étaient de langue anglaise.

«Je ne comprends rien à la politique de ce pays», affirme Leloup qui, né à Québec, a grandi au Togo et en Algérie où son père était enseignant.

«Je me souviens de cette mer de drapeaux qui furent levés lors du référendum de 1980. Je revenais alors d'Algérie où j'avais vu la guerre, le racisme, la révolution, les oreilles qu'on coupait... alors qu'ici, au Québec, les francophones parlaient des maudits anglais et de l'exploitation.»

«Que de radotages», ajoute Leloup, parlant indifféremment en anglais ou en français quand ce n'est pas par signes. «Les gens, ici, vivent très bien.»

Québécois frustrés

Ancien étudiant en littérature française de l'université Laval, Leloup estime que «ce qui étreint avant tout le coeur des Québécois, c'est leur solitude, leurs frustrations de néo-catholiques».

Le rocker ne semble certes pas souffrir de telles frustrations. Ses émotions sont à fleur de peau et il ne cesse de gesticuler, se frappant la tête des mains, roulant les yeux constamment, lâchant des cascades de rires et faisant le pitre face à la caméra... et même quand il n'y a pas de caméra.

Récemment, Leloup et Sale Affaire (sic) n'ont cessé de voyager entre Montréal et Paris où ils ont lancé une version légèrement modifié (sic), sur disque compact, de «L'Amour est sans pitié».

C'est «bizarre» de se rendre à Paris pour apparaître à la télévision durant quatre minutes et de revenir immédiatement à Montréal, affirme Leloup.

«C'est pourtant un immense marché. J'ai fait une émission télévisée en France qui a été vue par dix ou vingt millions de personnes. Ici, on doit travailler beaucoup plus durement pour un marché beaucoup plus restreint.»

Que lui réserve l'avenir? «Rien. Je n'ai pas l'intention de changer quoi que ce soit à ma vie.»

Photo: Jean Leloup.

Merci Alex!

MCC, LTC
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Dernière mise à jour le 15 février 2005.
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