Les premières parties vedettes
par Sonia Sarfati
dans La Presse, 5 février 2005
Article

Ils ont été, à leurs débuts, les premières parties de vedettes établies... et sont devenus à leur tour des vedettes de premier plan au Québec. Une preuve comme une autre qu'une première partie, ça vaut souvent la peine. Ne serait-ce que pour pouvoir dire, au cours d'une soirée: "Je me souviens d'avoir vu Untel en première partie d'Untel - j'ai su tout de suite que ça allait devenir gros..." Eux aussi s'en rappellent.

LYNDA LEMAY
PREMIÈRE PARTIE DE DANIEL LANOIS le 6 juin 1993, à la salle Albert-Rousseau à Québec

À L'ÉPOQUE, Lynda Lemay n'avait qu'un album, Nos rêves, reçu assez tièdement, et s'apprêtait à entrer en studio pour enregistrer Y (avec notamment la chanson Le plus fort, c'est mon père). "Je ne savais pas trop quel accueil me réserveraient Daniel Lanois (qui venait de sortir son splendide album Acadie) et son public. Mais surprise, ça a été un public très attentif et très respectueux. Le fait de recevoir un tel accueil par des spectateurs qui ne m'avaient pas "choisie" et ce, en début de carrière, a sûrement contribué à me rassurer et à me donner confiance pour la suite. Et puis, j'ai réalisé que mon public pouvait être plus large que je ne l'imaginais." Quant à Lanois, il a été sympathique, pas du tout intimidant, et a invité Lynda à l'accompagner dans le hall de la salle pour y rencontrer le public, après le spectacle. L'auteure-compositeure-interprète se souvient avoir reçu le même chaleureux "traitement" de Serge Lama, qui l'a présentée en première partie de son spectacle au Festival Chorus des Hautes-Seines, en 1996.

STEFIE SHOCK
PREMIÈRE PARTIE DE JEAN LELOUP les 26 et 27 juillet 2001, au Métropolis

"EN DÉCEMBRE 2000, explique Shock, j'avais participé à un show privé au Diable vert; il me semble que c'était pour l'anniversaire d'un technicien... En tout cas, le show était donné par Leloup, Mononc' Serge et moi (NDLR: la journaliste aimerait beaucoup qu'on note ces trois noms pour son prochain party d'anniversaire...). Ça a été notre première collaboration. Ça devait lui avoir plu puisqu'il a accepté quand on lui a proposé de monter un show dont je ferais la première partie."

Le tandem débute par quelques spectacles dans les festivals d'été en juillet 2001. "Déjà, Jean avait pris l'habitude de m'inviter sur scène, au rappel, à la fin de sa partie à lui, pour chanter une de ses tounes. Je pense qu'il prenait pour acquis que je connaissais par coeur et au complet tout son répertoire (rires), ce qui n'était pas tout à fait le cas. Mais disons que ça a bien tombé, les chansons qu'il m'a proposées, je les connaissais: Cookie, Je joue de la guitare, 1990..." C'est justement 1990 que Stefie Shock a interprétée, avec Leloup à la guitare, à la fin des deux spectacles au Métropolis - c'était pendant les FrancoFolies de Montréal et le public survolté a hurlé longtemps. À la demande générale, le spectacle devient mini-tournée dans quelques villes du Québec, au mois de novembre suivant. "C'était quelque chose, jouer sur la même scène que Leloup, lui qui n'a peur de rien, qui est pour moi un modèle d'intégrité... Bon, il y a des journalistes qui ont pensé qu'il me désignait un peu comme son dauphin, mais franchement, Leloup n'a pas à désigner qui que ce soit, alors... Ce qui est vrai, c'est qu'il m'a donné un break et que ça a été déterminant pour moi."

JORANE
PREMIÈRE PARTIE DE M (MATHIEU CHÉDID)
5 novembre 1998, au Lion d'or

C'ÉTAIT LE premier passage de M à Montréal, dans le cadre de Coup de coeur francophone, où il donnait deux représentations en formule solo. Le premier soir, en première partie, se produit, avec son violoncelle, une toute jeune fille, sous le nom de Jorane Peltier. "À l'époque, je n'avais pas encore signé de contrat de disques, se souvient Jorane, et je savais qu'il y avait du monde dans la salle qui avait reçu ma maquette et qui était venu voir de quoi j'avais l'air." Jorane croit même se souvenir que Donald Tarlton était présent, ce soir-là - c'est lui qui va prendre Jorane sur son étiquette de disques.

Les premières parties, Jorane connaît bien, elle en a fait plusieurs et pas des moindres, au fil des ans: premières parties d'Arthur H, de M et de Yann Fersen (sic) en France, mais aussi du Brésilien Lenine: "On se fait découvrir dans une première partie, mais on découvre nous aussi des artistes, des univers, comme celui de Lenine que j'ai trouvé extraordinaire", dit-elle.

Au pays, elle a également "ouvert" pour quelques artistes et conserve un souvenir particulièrement heureux de la tournée canadienne avec Chantal Kreviazuk: "Je faisais sa première partie et elle me faisait également une place à la fin de son propre spectacle, où j'allais chanter quelques chansons avec elle. Et puis, on s'est retrouvées dans les provinces de l'Ouest au temps des cerises, c'était génial!"

Depuis, Jorane rend la politesse: il y a presque toujours une première partie à son spectacle, que ce soit Simon Wilcox, Polly-Esther, Dumas, Sarah Slean... "Il le faut. Peut-être les artistes ont-ils peur que la première partie soit trop bonne... Moi, je crois que ça fait un meilleur spectacle dans l'ensemble. Ça n'enlève rien, ça ajoute."

LES PREMIÈRES PARTIES MÉMORABLES

CE SONT TOUTES CES PREMIÈRES PARTIES TELLEMENT FORTES QU'ELLES ONT ÉCLIPSÉ LES "VEDETTES" DONT ELLES ASSURAIENT L'OUVERTURE. À MONTRÉAL, AU COURS DES DEUX DERNIÈRES DÉCENNIES SEULEMENT, IL Y EN A EU DES MÉMORABLES - D'AILLEURS, MÊME LES JOURNALISTES DE LA SECTION ARTS ET SPECTACLES SE SONT SOUVENUS SPONTANÉMENT DE QUELQUES-UNES!

FRANCIS CABREL AVANT PIERRE BERTRAND, dans une petite salle du Vieux-Montréal

"C'était l'hiver", dit la chanson de Francis Cabrel. Ça l'était ce soir-là, soir de sortie pour quelques dizaines de personnes venues voir Pierre Bertrand dans une petite salle du Vieux-Montréal. Dans l'assistance, trois personnes - guère plus - se trouvaient là pour l'homme qui le précédait: alors que s'amorçaient les années 80, Francis Cabrel avait décidé de venir tâter le terrain au Québec, seul avec sa guitare. Il lui faudrait revenir pour faire sa percée ici. Mais pour les trois heureux qui ont passé la seconde partie du spectacle dans les coulisses avec lui, une étoile était née. Et ce n'était pas Pierre Bertrand. - Sonia Sarfati

SHERYL CROW AVANT CROWDED HOUSE le 27 avril 1994, au théâtre Saint-Denis

Le très bon groupe Crowded House était en cours de séparation houleuse, on allait l'apprendre peu de temps après. Est-ce pour cette raison que Sheryl Crow a volé la vedette ce soir-là? Ou était-ce la force de sa prestation, son aisance sur scène, ses chansons (tirées de son premier album Tuesday Night Music Club)? Quoi qu'il en soit, le lendemain, la plupart des critiques consacraient près de la moitié de leurs articles au spectacle de Crow (dans La Presse: "Prenez Joni Mitchell, les Beatles, les Rolling Stones, Rickie Lee Jones (...), tirez-en le meilleur et vous aurez une idée de ce qu'est Sheryl Crow"!). Miss Crow est toujours parmi nous, Crowded House n'est plus qu'un excellent souvenir.

METALLICA AVANT GUNS'N'ROSES le 8 août 1992, Stade olympique

Célèbre parce qu'il s'est terminé en émeute, le spectacle présenté devant 55 000 fans de heavy metal regroupait Faith No More, Metallica et Guns'n'Roses. Mais Metallica avait dû brutalement interrompre son spectacle en raison d'un accident pyrotechnique qui avait brûlé le chanteur James Hetfield au troisième degré. Après deux heures d'attente, les fans ont finalement eut droit à Guns'n'Roses sur scène... pendant moins d'une heure, le chanteur Axel Rose (sic) ayant décidé de quitter le Stade! L'émeute n'a pas tardé... Pour se faire pardonner, Metallica est revenu donné (sic) deux spectacles à ses fans et n'a cessé depuis de revenir ici - par exemple en 2004, où il s'est produit au Centre Bell deux soirs, devant 38 751 fans au total. Et Guns'n'Roses? Envolé... en fumée.

LIONEL RICHIE AVANT TINA TURNER le 11 juin 2000, au Centre Molson

Bon, c'est vrai, la nostalgie était au rendez-vous. N'empêche que Lionel Richie a mis tout le Centre Molson dans sa petite poche d'en arrière en 45 minutes top chrono, avec la salle chantant en choeur Hello, is it you I'm looking fooooor?, All Night Long et autres chansons soul disco efficaces. Et Tina Turner là-dedans, dont c'était le énième spectacle d'adieu? Eh bien, Tina semble l'avoir pris un peu mal et elle est revenue à Montréal le 23 septembre 2000, en tournée d'adieu encore, avec, en première partie, Joe Cocker. Qui a mis tout le Centre Molson dans sa petite poche d'en arrière.

ANNIE LENNOX AVANT STING le 13 juillet 2004, au Centre Bell

C'est bien simple, La Presse titrait le lendemain: "Annie Lennox éclipse Sting", tant l'ex-membre des Eurythmics, à l'aube de ses 50 ans, avait fait un tabac. Zen - c'est le mot poli pour dire sans énergie... -, Sting a plutôt bercé les 12 369 spectateurs du Centre Bell. Annie, elle, les a fait danser et chanter, notamment sur Missionary Man! Tiens, à qui le titre de cette chanson nous fait-il penser?

MELISSA ETHERIDGE AVANT BRUCE HORNSBY le 12 septembre 1988, au théâtre Saint-Denis

Même Melissa s'en rappelle! "C'était la première fois que j'avais une telle réponse pour mes chansons, c'était fantastique, évoquait-elle en entrevue en 2004. Je suis allée en coulisses après mon numéro et Bruce m'a dit: "Il faut que tu retournes sur scène, ils en veulent encore." J'ai fait mon premier rappel à ce moment-là." En fait, elle a dû faire deux rappels, tant la réponse des Montréalais était enthousiaste, et revenait en vedette l'année suivante. La Presse titrait sa critique, le lendemain: "Bruce Hornsby: comment survivre à la bombe Melissa Etheridge?" Il n'a pas survécu: Hornsby a, peu de temps après, sombré dans l'anonymat.

GOWAN AVANT STYX le 20 juin 1997, à l'amphithéâtre du Centre Molson

Ah, Gowan, sa coupe Longueuil, son vidéo Criminal Mind, sa musique tellement 1980... et ses fans extatiques en ce soir de juin 1997. "J'ai été très surpris, expliquait Lawrence Gowan quelques mois plus tard. On m'a offert de jouer avec Styx à la dernière minute. J'ai accepté, parce que j'avais joué avec Paul Young il y a dix ans et je voulais jouer dans la nouvelle bâtisse. J'ai été estomaqué par la réaction des spectateurs!" Spectateurs qui ont ovationné Gowan si longtemps qu'il a dû donner un rappel, fait rarissime pour une première partie. Et plus fort, toujours plus fort, Gowan fait maintenant partie de la formation Styx!

L'HOMME DES PREMIÈRES PARTIES IMPROBABLES

Automne 2000, Jim Corcoran reçoit un appel de son copain Mathieu Chédid, alias M: "Dis, Jim, tu ne voudrais pas venir faire la tournée avec moi en France? J'ai une quinzaine de dates, on commence par Paris." "Euh, oui, répond Jim, pas de problème, Mathieu, c'est quoi, la première salle?" "L'Olympia!"

"Quand je suis arrivé à l'Olympia, se remémore en riant Jim, les sièges avaient été enlevés et la moyenne d'âge des spectateurs était d'environ 19 ans et demi. Je me suis dit: "Qu'est-ce que mon oncle Jim va faire là?"

Jim allait faire là la première partie de M, tant à Paris qu'à Lyon ou Nantes, du 23 novembre au 16 décembre 2000. Dans chaque ville, M s'assurait que Jim soit de la conférence de presse tenue pour les médias. Chaque soir, M entrait sur scène avant Jim pour le présenter à la foule comme étant son copain. Keren Ann et Thierry Stremler étaient eux aussi de l'affiche. Bref, des premières parties comme c'était la tradition avant...

Mais pourquoi Jim, pourtant à des années-lumière musicales de la pop-rock-disco-funk de M? "J'étais allé voir Mathieu au Coup de coeur francophone en 1998 ? ce soir-là, Jorane faisait sa première partie, c'était vraiment bien. J'avais beaucoup aimé le premier disque de Mathieu, Le Baptême, et je suis allé le voir en coulisses après le spectacle. Il était là tout seul, on a sympathisé et je l'ai invité à venir le lendemain à mon émission (À propos, émission sur la chanson francophone animée par Corcoran au réseau radio anglais CBC). Il est arrivé avec sa guitare, il a chanté, il parle plutôt bien l'anglais, Mathieu, ça s'est bien passé. Ensuite, chaque fois qu'il passait par Montréal, il m'appelait et on allait manger ensemble; je faisais pareil quand j'allais en France."

C'est ainsi qu'est arrivé l'appel de M en 2000, alors que ce dernier venait de remporter deux Victoires et que tous se l'arrachaient. "C'est grâce à l'humanité de Mathieu si cette tournée a été si agréable, précise Jim. Par exemple, rendu au cinquième spectacle, il m'a dit: "Pourquoi tu prends pas tes rappels? Allez, vas-y, c'est ton show, va chanter encore un peu!" "En plus, ajoute Corcoran en riant, cette tournée m'a permis de réaliser un fantasme: je rêvais depuis toujours d'être dans un vrai tour bus!"

ENCORE PLUS IMPROBABLE

Mais ce n'est pas là la première partie la plus improbable de l'ami Jim. Dans les années 70, à Sherbrooke, Jim et Bertrand (Gosselin) forment un duo qui connaît un succès grandissant. Justement, la salle Maurice O'Bready a un urgent besoin d'une première partie pour... le groupe de rock progressif Gentle Giant, une formation de Grande-Bretagne qui fait un malheur au Québec. Pourquoi pas Jim et Bertrand?

Seulement, Jim et Bertrand ne font pas dans le progressif. Et pire, Bertrand est absent, en vacances au Mexique. "Alors, j'ai appelé une amie de Montréal et un de mes copains de Sherbrooke, explique un Corcoran hilaire (sic), et on a monté une espèce de programme de vieux blues et de folk country à la Ramblin'Jack Elliot. Le soir du spectacle, on était complètement terrorisé. En plus, on réalise que Bertrand est revenu du Mexique, justement pour pouvoir voir Gentle Giant, et qu'il est dans la salle!!! On est finalement monté sur scène, on a joué, les gens nous ont écoutés poliment et, un moment donné, un des trois frères Shulman (membres fondateurs de Gentle Giant) nous a rejoints sur scène et s'est mis à faire... un solo de xylophone! Personne dans la salle n'a réalisé que c'était Shulman parce que personne ne savait vraiment à quoi ressemblait les gars de Gentle Giant - leurs pochettes de disques étaient toujours illustrées par des dessins. Mais moi, j'étais comblé!"

MCC, LTC
page principale | articles: alphabétique | articles: chronologique | photos

Dernière mise à jour le 6 mars 2005.
http://news.lecastel.org
Conception: SD