Leloup de retour sur rail
par Alain Brunet
dans La Presse, 8 août 1996
Article

Pour celles et ceux qui s'attendaient à un Leloup conquérant, redoutablement efficace, parfaitement rodé, ce fut partie remise. Pour celles et ceux ayant accepté Leloup tel qu'il est, c'est-à-dire imprévisible, d'un génie fabuleusement hirsute, le rentrée de l'enfant terrible fut réussie.

C'est vous dire que les avis n'étaient pas unanimes, mardi soir au Spectrum. Personnellement, je penche pour la seconde vision (majoritaire chez les spectateurs, vous vous en doutez bien), celle d'un Leloup ressuscité, de nouveau apte au bonheur des planches. Celle d'un beau party de retrouvailles.

Bien sûr, son groupe n'était pas encore parfaitement adapté à son répertoire. Bien sûr, ce show n'était pas encore rodé. Bien sûr, Leloup avait la dégaine tellement relaxe (il nous l'a dit à maintes reprises, d'ailleurs) qu'il pouvait donner l'impression de prendre son retour à la légère. Plus attendu que ça...

Qu'importe, Leloup reprenait vie, affichait un sourire radieux. Il était beau à voir aller, parce qu'il prenait progressivement les choses en main. Tout menait à croire que, dans une vingtaine de concerts, Leloup serait de nouveau géant.

Après une entrée en matière intimiste du principal intéressé (seul à la guitare), les musiciens se sont installés (l'excellent Mark Lamb aux guitares, Alexis Cochard reconverti à la basse sauf exeption, Alain Berger à la batterie, Monica Hines aux choeurs) tout a décollé lentement. Ainsi va la vie qui va-a

Ainsi donc, Mariane, Nathalie, Isabelle, Cookie, Laura et autres femmes imaginaires de Leloup on été reconvoquées. Y a des filles com-me ça qui ne s'arrê-te-ront pas... Au pied de la scène, d'ailleurs, ces personnages virtuels pouvaient être incarnés par celles qui peuplaient cette ceinture de beauté - Leloup, on l'avait oublié, a un ascendant peu commun sur la gent féminine.

Ainsi donc, l'éleveur a élevé ses escargots bleus et blancs sauvages, et ces derniers ont fait leur ravage. L'antiquaire a passé à un cheveu de se faire voler son Bouddha d'ivoire posant derrière la vitrine, un Bouddha blanc comme l'héroïne. Dr. Jekyll and Mr. Hyde a, bien sûr, ingurgité sa potion, Cookie a poudré son joli nez et, j'te jure mon frère, il a neigé, il a neigé hier à Alger.

Vers minuit trente, nous étions enfin catapultés en 1990. Leloup oblige, la version de son fameux tube n'avait rien à voir avec celle concoctée six ans plus tôt. En outre, plusieurs nouveaux titres (des vieux qui n'ont pas encore été endisqués ?) furent livrés aux fans. Sur le coup de minuit, tout devint plus lourd ; pendant que le chanteur suait à grosses gouttes, les power chords de Mark Lamb étoffaient ses rimes. Et Fashion Victim m'a semblé être une grande chanson rock. Et que ça tire ça tire des carabines à plomb, pour reprendre ce vers intercepté dans l'espace.

Depuis des lustres, Leloup n'en finit plus de tourner en rond. La rumeur veur qu'il ait jeté aux rebuts quelques bandes maîtresses d'éventuels albums, qu'il ait viré plusieurs de ses colaborateurs, qu'il ait rempli des coffres de textes inachevés. Bref, tout indique que le processus créatif était devenu malsain. Lorsqu'on repasse quarante fois sur un chorus, la varlope finit par tout effacer. On se met alors à écrire dans l'angoisse, on pénètre dans un tunnel, on s'évapore à petit feu. Un jour, on atteint un stade crucial : ou bien on force le vent à changer de bord, ou bien on disparaît pour de bon.

La grande nouvelle de mardi soir, c'est que Leloup était à choisir la deuxième option.

Copié du site de Pask


page principale | articles: alphabétique | articles: chronologique | photos

Dernière mise à jour le 31 juillet 2000.
http://news.lecastel.org
Conception: SD