La Mygale jaune, ou l'enterrement trash de Jean Leloup
par Presse Canadienne
dans La Tribune, 17 avril 2004
Critique

Québec - C'est l'histoire d'un chanteur populaire qui voulait devenir un homme respectable. S'acheter une Jetta, faire des bébés, mener une vie tranquille, et tout le tralala. Mais avant de brûler sa guitare, il s'offre un dernier tour de piste. Délinquant.

Jean Leloup met en scène sa propre mort dans La Mygale jaune, un film musical, avant tout un condensé brut de quelques moments fameux des derniers tours de piste du "chanteur populaire", captés à la fin de 2003.

Le film de 75 minutes a pris l'affiche à Québec et à Montréal, comme prélude à sa sortie DVD mardi, en compagnie d'un double CD enregistré devant public. Un package qui constitue une sorte de requiem pour Leloup, le rocker pas comme les autres, qui, l'automne dernier, annonçait sa mort.

Il en a fait grand cas, s'est expliqué longuement sur les motifs de sa "disparition annoncée". Fatigué de jouer au rocker, du système, de se donner en spectacle à un public qui en a toujours redemandé, Leloup a décidé d'enterrer Leloup, pour redevenir Jean Leclerc.

En toute logique, c'est d'ailleurs sous ce nom qu'il signe avec Martin Laporte, et la collaboration de Thien Vu Dang et Carlos Soldevila La Mygale jaune. Jean Leclerc, le nouveau cinéaste, filme la mort de Jean Leloup, le personnage.

Le résultat, inégal, n'est pas aussi fabuleux que sa dernière sortie scénique. Mais il n'y a aucun doute sur la paternité.

Rien de très élaboré dans la mise en scène funèbre. Le film nous embarque avec Leloup dans une van déglinguée, direction rivière Yamaska, où il a choisi d'immoler sur un radeau, dans un geste voulu symbolique, l'objet de son amour, sa "guétare".

En chemin, Leloup explique. Un peu. "J'ai commencé à faire des conneries, il faut que j'arrête." À 42 ans, le rocker affirme rêver de famille, de bonne humeur, de respect. Il dit sa lassitude de son image de "paquet de troubles" ambulant. De son image de "rocker lubrique" qui fait que les filles n'appellent pas pour simplement aller au ciné.

Mais quand il prétend avoir maintenant envie d'aller à un gala et de remercier toute l'industrie, ou quand il balance sans sourciller : "Je veux devenir un homme respectable", on ne peut s'empêcher de sourire. Et Leloup, à l'écran, semble s'en retenir tout autant.

Il ne faut bien sûr pas tout prendre au pied de la lettre. Leloup manie aussi bien l'image que l'hyperbole. Mais le geste d'un rocker filmant sa mort qui aurait pu dans d'autres cas devenir un exercice futilement narcissique ne fait que prolonger joyeusement l'esprit du flamboyant personnage.

La Mygale jaune n'a rien d'un film en concert usuel, comme les clips de Leloup n'ont rien à voir avec les clips formatés. Le filmage est mal léché, volontairement brouillon, délinquant. Les effets d'éclairage et de caméra un peu gratuits parfois donnent un look brut, psychédélique. La caméra cadre, recadre, décadre, passe du clair au flou, du flou au clair, comme si la mise au point devenait impossible devant Leloup l'insondable, qui feint de se révéler, mais qui cultive son énigme. Un Leloup que la caméra suit en gros plans, comme un microscope disséquant une curieuse bibitte (la mygale est une araignée).

Au-delà de la mort, c'est la musique, bien vivante, qui fait tout l'intérêt de La Mygale jaune. Le requiem de Leloup n'a rien d'une longue agonie. La dizaine d'extraits de sa toute dernière virée, de Barcelone à L'Antiquaire, jusqu'au très approprié "Let Me Go", redisent toute la folie du showman, ainsi que le "génie" du fabricant de chansons, qui savait si bien les réinventer sur scène. C'est ce Leloup-là qui manquera surtout, pour peu que Jean Leclerc ne le fasse ressusciter.
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Dernière mise à jour le 25 avril 2004.
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