Pour en finir avec Jean Leloup
par Sylvain Cormier
dans Le Devoir, 17 avril 2004
Critique

Jean Leloup est bel et bien mort, voici un coffret CD-DVD et une guitare sacrifiée en preuve. Mais revoilà pourtant le roi ponpon, ressortant son haut-de-forme le temps d'une dernière tournée de promotion. Réflexion post mortem.

Que fait donc Jean Leloup depuis qu'il n'est plus Jean Leloup? Il écrit. Tous les matins. «Je commence à 6h. Tape, tape, tape, pendant trois heures.» Il écrit quoi? «Ce qui me vient. Des histoires pas trop longues. Des nouvelles. Je n'ai pas assez de souffle pour un roman.» Pas de textes de chansons? «Non. Mais ça pourrait arriver. S'il m'en vient et que je leur trouve de bonnes musiques, je les mettrai à la disposition des gens, sur mon site [www.roiponpon.com, en construction]. Gratuitement.» Sous quel nom? Le nom de scène Jean Leloup, le nom de baptême Jean Leclerc ou encore Jean Le Pimpant, pseudo du dernier communiqué de presse annonçant la sortie d'Exit, coffret CD-DVD immortalisant l'ultime tournée de Jean Leloup? «C'est pas important, le nom. Je m'en fous. La fin de Jean Leloup, la tournée d'adieu, la guitare que je brûle dans le film qui vient avec le disque du show, c'est seulement une façon un peu spectaculaire de signifier que je suis tanné de jouer à la vedette. Je commence même à être tanné d'expliquer ça!»

Cabotinage et survie

N'empêche qu'on est en avril, quatre mois après l'officielle fin des haricots, et voilà le gaillard chez moi, en tout point ressemblant au Jean Leloup d'il y a un an et demi, tel qu'interviewé à la sortie de l'album La Vallée des réputations. Même débit fou, même jeu du chat et de la souris entre l'idée et la phrase, même recours irrépressible à divers degrés de décalage ironique, même discours échevelé du gars qui pense plus vite que son ombre, tellement vite que ça cause des embouteillages à la sortie. «Y en a pas, de changement. Moi, c'est moi. La différence, c'est que je n'ai plus à penser aux prochains shows, ni à faire les festivals tout l'été, ni à écrire le prochain album. Ça ne m'empêche pas d'avoir la tête pleine d'idées.» C'est quand même étonnant, lui dis-je, cette petite ronde de promo post mortem. N'est-il pas précisément en train de se livrer à ce qui l'énervait le plus de sa vie de vedette rock? «C'est sûr que je fais un peu de promotion pour Exit, par politesse pour les gens qui m'ont aidé à faire le spectacle et le film. Et par respect pour les gens qui étaient aux spectacles et qui ont aimé ça. L'idée, c'est de laisser quelque chose de bien.»

Si le verbomoteur ne ralentit pas la cadence, l'homme est soulagé. Et plus du tout fâché. On est loin d'octobre dernier, alors que Leloup, au lendemain d'un gala de l'ADISQ dont il s'était tenu loin, avait littéralement vomi l'industrie du disque en ces pages. «J'ai mieux à faire que de rencontrer des producteurs niochons, de leur proposer des chansons idiotes et d'aller travailler avec des deux-de-pique pour accoucher d'un album plate», avait-il déclaré au collègue Stéphane Baillargeon. «J'étais content que ça sorte. Que ça se sache que je n'en pouvais plus. C'était une purge, un ras-le-bol salutaire. La vérité, c'est que je me suis vu comme faisant partie de toutes ces idioties. Ni mieux ni pire que les autres. J'ai vu que j'étais devenu une sorte de Che Guevara de salon. Une sorte de frère de Raël avec une guitare, un gourou de la chanson que l'on suit comme s'il donnait la direction à suivre, que l'on consulte sur des sujets importants comme la guerre et qui devient pontifiant à force de réfléchir aux choses importantes qu'il a à dire sur ces sujets importants.» Gros soupir. «J'étais tellement sur la sellette que j'étais toujours nerveux, toujours sur la défensive.»

D'où le cabotinage comme moyen de survie. Leloup cabotine comme jamais dans La Mygale jaune, le fascinant (et parfois fastidieux) film de ses dernières scènes et de sa mise à mort symbolique - une Fender en flammes sur un radeau dérivant entre les glaces sur la rivière Yamaska -, long métrage signé Jean Leclerc et Martin Laporte avec la collaboration de Thien Vu Dang et Carlos Soldevilla, présenté ces derniers jours à Ex-Centris et inclus dans le coffret Exit. Sur la scène du Métropolis ou celle du Théâtre Granada de Sherbrooke, il resplendit en John The Wolf, bête de rock'n'roll extrême, entouré de cuivres qui pètent de partout (en son surround, c'est formidable), exacerbant son personnage jusqu'au grotesque, le donnant en pâture pour ce qu'il est: un faux-jeton magnifique. On le voit aussi au volant d'une fourgonnette en route pour le sacrifice de la Fender sacrée, ânonnant des âneries sur son destin post-Leloup, souhaitant épouse, enfants, veau, vache, cochon, couvée. «C'était des niaiseries, dénonce-t-il. J'ai seulement envie de ne pas me détruire.»

Les meilleurs moments sont les moins orchestrés: Leloup qui gratte sa guitare et trouve qu'elle joue trop bien pour la brûler. Leloup qui joue l'inédite Coquerelles du ciel, guitare-voix pendant l'entracte, tel Jean Leclerc à Granby 15 ans plus tôt. Pas cabotin pour deux sous. «C'est comme ça que je veux être tout le temps. Pas de carapace. C'est ça qui me pesait dans cette vie rock'n'roll, la carapace. C'est une vie où il y a trop de demandes, trop d'exigences, trop de contact direct avec les gens. Ça te saute dessus, on veut tellement tout le temps quelque chose de toi que tu finis par te construire une carapace pour te protéger. Le problème, c'est que tu l'enlèves pas le soir quand tu rentres. Quand je sortais d'une tournée, ça me prenait six mois pour me reconnaître.»

Écrivain, cinéaste, c'est pas pareil, soutient-il. Une fois la promo assurée, l'oeuvre existe en dehors de l'auteur ou du réalisateur. «Pas besoin d'aller chanter ton film tous les soirs devant des foules!» Ça ne fera pas pour autant de Jean Leloup-Leclerc un quidam. Il le sait. Pas moyen d'ignorer sa célébrité: la vie se charge de le lui rappeler. L'entrevue finie, une demande spéciale l'attend: le fils de ma compagne le voudrait en photo. Tout habillé dans la douche. De bonne grâce, le grand Jean se prête à la séance ad hoc. «Ce qu'on ne ferait pas... » C'est pas demain la veille que Jean Leloup mourra dans le coeur de ses fans.

EXIT. Jean Leloup. Coffret CD-DVD. Roi Ponpon (Sélect)
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Dernière mise à jour le 25 avril 2004.
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