FrancoFolies: 20 ans et plus jeunes qu'avant
par Guillaume Bourgault-Côté
dans Le Devoir, 24 juillet 2008
Article

Vingt ans maintenant pour les FrancoFolies: c'est encore bien jeune, mais aussi juste assez vieux pour avoir une «vraie» histoire. Regard avec Laurent Saulnier, qui a 20 ans de francoassistance derrière la non-cravate.

Le contexte a bien changé depuis les premières FrancoFolies, présentées en septembre 1989. Sur la scène politique? Robert Bourassa était en route vers un deuxième mandat. En musique? Roch Voisine était plébiscité par toutes les femmes qui s'appelaient Hélène.

Pour leur première édition, les organisateurs des Francos avaient choisi le pairage France-Québec: chaque soir pendant huit jours, un artiste québécois montait sur la scène du Spectrum avec un collègue français. Michel Rivard avec Maxime LeForestier (et Piché en renfort), Édith Butler avec Véronique Sanson, Michel Pagliaro avec Jacques Higelin, Richard Séguin avec Daniela Simmons, sans oublier les «émergents» qu'étaient alors Jean Leloup et Noir Désir.

Depuis, Leloup est devenu une icône, est mort et s'est ressuscité lui-même. Noir Désir a perdu Bertrand Cantat en Lituanie. Hélène cartonne moins sur les ondes et on cherche encore quelle rue prendra le nom de Robert Bourassa à Montréal.

De leur côté, les FrancoFolies sont devenues au fil des ans tout autre chose qu'un simple exercice de jumelage. Métamorphose quasi complète. «Ça n'a plus rien à voir», affirme d'ailleurs sans la moindre hésitation Laurent Saulnier, programmateur en chef du festival.

Saulnier officie à ce poste depuis neuf ans, après avoir vécu les 11 premières éditions comme chroniqueur musical à l'hebdomadaire Voir.

Changement de créneau horaire d'abord. «Les premières années [1989-93], on avait un festival d'automne, et parfois d'hiver», se rappelait Laurent Saulnier lors d'une rencontre dans son bureau il y a 10 jours. Il n'y avait donc pas de concerts extérieurs dans ces conditions, la gadoue et les 15 degrés sous zéro faisant piètre ménage avec une six cordes sèche. Ce n'est qu'en 1994 que les Francos sont devenues estivales et qu'on a pu ajouter tout le volet gratuit extérieur, très important aujourd'hui (150 concerts gratuits cette année, contre 50 en salle).

Changement d'orientation musicale ensuite. Les premières années des Francos ont beaucoup été marquées par la présentation d'événements consacrés aux valeurs sûres du répertoire francophone. On faisait alors systématiquement la «fête à» quelqu'un: Ferland, Séguin, Vigneault, Léveillée ou Piché; les cartes blanches abondaient.

Un concept qui manquait d'audace, indique à mots couverts Laurent Saulnier. D'autant plus que ce qui était original dans les années 90 ne l'est plus nécessairement en 2008, dit-il en évoquant l'émission Belle et Bum, qui utilise une formule similaire toutes les semaines.

En intégrant l'équipe de programmation en 2000, l'intention de Saulnier était «de faire des Francos ce qu'elles sont devenues, de rajeunir les groupes et le public, explique l'ancien journaliste. Il y avait toute une scène montréalaise qui n'était pas présente dans la programmation, et ça manquait. Je croyais que les Francos étaient la meilleure place pour donner de la visibilité à ces groupes, et j'y crois encore.»

C'est entre autres ce qui fait qu'une très large part de la programmation est aujourd'hui réservée aux talents locaux, dont plusieurs sont largement méconnus. En somme, les Francos sont plus jeunes à vingt ans qu'à cinq ou à dix. C'est parfois l'effet de la contrainte -- en 2007, la programmation juvénile résultait surtout du fait qu'aucun gros nom français n'était en tournée à ce moment --, mais il s'agit globalement d'un choix bien assumé.

«On a envie de donner une chance aux jeunes plutôt que de reprogrammer sans cesse des "vieux", dit Saulnier. On veut construire une programmation qui évolue avec les groupes, qui les accompagne. Ils commencent dans la rue, puis ils font des petites salles, ensuite des plus grandes salles. Ce n'est certainement pas juste nous qui faisons grossir un artiste, mais ça aide.»

Exemple donné avec Pierre Lapointe, qui n'en finit plus maintenant de créer des événements inédits et toujours plus ambitieux (Mutantès) pour les Francos.

N'empêche, dit Saulnier, des concerts comme l'hommage qui sera rendu à Félix Leclerc le 2 août, ou encore la présence de Véronique Sanson, sont aussi «très importants». Seulement, les FrancoFolies revendiquent depuis neuf ans un peu plus leur vocation francofolle. On explore, on fait des essais, quitte à se péter la gueule. Ce qui arrive parfois.

«Le problème auquel on fait face, dit le programmateur, c'est qu'on choisit parfois des artistes trop rapidement dans leur carrière. Si on avait attendu un an ou deux, ç'aurait été mieux. La première fois qu'Émilie Simon a chanté aux Francos, par exemple, ce n'était pas plaisant pour elle, ni pour le public, ni pour personne. Mais c'était seulement son huitième spectacle en carrière... et on sait ce que ç'a donné ensuite. Ça fait partie des risques.»

Liberté

Pour Laurent Saulnier, les Francos sont beaucoup une affaire de liberté. Les événements inédits sont monnaie courante -- en partie parce que plusieurs artistes invités se sont produits à Montréal au cours des 12 mois précédents et qu'il faut présenter quelque chose de différent --, on brasse les idées... Un climat qui plaît aux artistes, dit-il.

«Prenons le cas d'Alain Bashung en 2005: il n'aurait pas fait ces deux cartes blanches très libres et audacieuses en France, avec toute la pression de la presse parisienne, croit Laurent Saulnier. Mais il avait envie de le faire ici, dans le contexte montréalais.»

Ceci facilite le travail du programmateur, reconnaît Saulnier. Attirer les gros noms de la musique à Montréal est ainsi plus facile que d'attirer ceux du hockey... «On peut avoir à peu près n'importe qui, dit-il, mais on ne peut pas faire de miracles non plus. Je voulais programmer Vanessa Paradis cette année. Sauf qu'il aurait fallu investir tellement d'argent que ç'aurait pris le Centre Bell, et encore.»

Donc, pas de Centre Bell, ni de Vanessa Paradis, mais beaucoup d'autres artistes aptes à provoquer quelques étincelles. Un moment. Une émotion. Du type de ceux que Saulnier peut ressentir dans les salles obscures où il compose une bonne partie de sa programmation.

«La mythologie populaire veut qu'on soit toujours en transit entre deux grands festivals, dit-il entre deux éclats de son rire caractéristique. Une semaine en Norvège, l'autre à Paris. Mais c'est faux: on passe le plus clair de notre temps à faire du repérage dans de petites salles comme Le Divan orange.»

C'est moins glamour, mais ça permet d'offrir un «vrai polaroïd de la scène musicale locale». À voir la liste des quelque 1300 artistes qui ont défilé sur les scènes francofolles en 19 ans, on peut aussi parler sans crainte d'un portrait exhaustif de la chanson d'expression francophone du monde entier.

Les FrancoFolies débutent ce soir et se terminent le 3 août.
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Dernière mise à jour le 31 juillet 2008.
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