Tonus & Lupus classicus
par Yves Bergeras
dans Le Droit, 30 novembre 2003
Critique

Dans une salle Southam remplie jusqu'à la gueule, Jean Leloup s'est fait plaisir, vendredi soir au CNA. Arrivé dans sa loge à 19 h 57, pour un spectacle prévu trois minutes plus tard, il lâche calmement « Y'a-tu un show icitte à soir ? » à son producteur qui, en coulisse, jonglait avec sa tension artérielle.

Une courte séance de maquillage plus tard, une croix funèbre dessinée sur chaque joue, c'est en fauteuil roulant que Leloup débarque sur scène, où ses musiciens et choristes, tout de noir vêtus, l'attendaient sur des accords orientaux et une danse du ventre. Grimaçant, gesticulant, « bras-d'honneurisant », le chef de meute fait hurler une foule qui s'est instinctivement dressée sur ses pattes postérieures. Le deuil tourne à la farce. Le show peut commencer...

C'est parti pour une succession de tounes lupus classicus, mais en versions inédites ou improvisées. Pour son dernier show urbain – il ne lui reste plus qu'une poignée de spectacles en région – Jean Leloup en profite pour prendre son répertoire à rebrousse-poil.

Ça commence sur les jeux érotiques de sa grosse Bertha, qui vire en semi-impro délirante . On enchaîne sur Edgar qui permet de se rendre compte que la sonorisation nécessiterait quelques ajustements. Pas grave : elle est authentique, la star, et à l'air de se ficher éperdument des détails techniques. Comme du reste, d'ailleurs. « Maintenant, je m'en câlisse », glisse-t-il à la foule, souriant de toutes ses dents. Le loup joue de l'affectif aussi bien, sinon mieux, que de la guitare.

De sa chaise roulante, il donne une version bluesy, mais pas soldée, de L'antiquaire. Cabotinant, il se relève comme un vieillard, usant de sa guitare comme d'une canne, puis s'écroule sur scène, tente de poursuivre son couplet à l'horizontale, manque de souffle, éclate de rire et interrompt le show. « C'est ça le pouvoir du rock n'roll », s'excuse-t-il. Son band reprend comme s'y de rien n'était.

Au mur, une gigantesque étoile s'allume. Sous ses branches étincelantes, la star entonne La vie est laide, en ska puis en reggae. Leloup n'est pas là pour se prendre la tête. Ni pour refaire ses albums. Il aime trop la liberté. Il ne suivra donc pas une seule de ses chansons à la lettre, l'animal. Accélérant ses morceaux calmes, et vice-verse. Ce qui permet au public de noter qu'il a su s'entourer de grands musiciens, capables de le suivre, de l'attendre, de le deviner, de constamment le mettre en valeur. Leloup, enfant et chef d'orchestre, tient les manettes d'un énorme jeu vidéo.

Tous ses vieux succès passeront un à un : Think about you, Le monde est à pleurer, I lost my Baby (en insistant, forcément, sur la fille « d'Ottawa »), non sans un détour par les récentes perles de La vallée des réputations. À partir de Cookie, son big band éclate en assurance. Tantôt rock et très cuivré, tantôt salsa sexy, l'orchestre se dote, dans La chambre, d'un esprit frondeur, presque punk, clin d'oeil au should I stay or should I go de Johhny Rotten. À deux reprises, Jean Leloup va même taquiner les percussions, en duo avec Amaury, son batteur.

Après deux heures de spectacle, le roi Ponpon, affublé d'une royale couverture léopard, remonte sur son trône à roulettes, et regagne sa tanière. La foule le rappelle immédiatement. C'est reparti pour une autre demi-heure : l'énergique Alger, le bouleversant Les remords du commandant, suivi d'un hommage inédit. Et on achève sur l'incontournable 1990.

Leloup résistera-t-il à l'envie de sortir un album posthume, live et big band ? Vendredi, quelque 2300 fans le souhaitaient de tout coeur.

Photo PATRICK WOODBURY. C'est en fauteuil roulant, gesticulant, maquillé d'une croix funèbre à chaque joue, que Jean Leloup a débarqué sur scène, au CNA, vendredi.
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Dernière mise à jour le 1 décembre 2003.
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