Deadwolf mord dans la bourgeoisie
par Valérie Lesage
dans Le Soleil, 16 septembre 2006
Entrevue

En avril 2004, il faisait brûler sa guitare sur un radeau et il enterrait officiellement Jean Leloup.

"Le rock, si j'avais continué, je me serais répété", avait-il déclaré au Soleil au moment d'enterrer le flamboyant personnage.

À 45 ans, sous son vrai nom, Jean Leclerc revient avec un CD tout frais et 17 nouvelles chansons (dans les bacs mardi). "Je les aime toutes. C'est la première fois que je les aime toutes... Je m'arrêterai pour un bon bout parce que j'aurai du mal à faire mieux", confie-t-il au cours d'une entrevue téléphonique depuis Montréal, où il déambule dans les rues au fil d'une conversation remplie d'humour, de détours et d'idées qui se précisent surtout à la relecture des notes.

Alors c'était quoi cette histoire de retraite ? Un truc pour vendre des disques ? Ce serait mal connaître Jean Leclerc. Pour lui, l'argent n'est qu'utilitaire. Il a besoin de peu pour vivre. Et comme, pour la première fois, il a fait les choses en solitaire (composition, réalisation, production), il n'aura pas subi non plus la pression d'une maison de disques qui, elle, aurait pu vouloir renflouer ses coffres.

"J'ai fait le disque tout seul parce que je voulais aller au studio quand ça me tentait. Ça a duré trois ans. J'ai pris les meilleurs morceaux, j'ai dealé avec aucun fonctionnaire qui rêvait d'un condo sur le Plateau et d'un chalet à Saint-Jérôme."

"Plein le cul"

Jean Leclerc, qui a commencé à jouer de la guitare à cinq ans et écrit Alger à 13 ans, n'a donc jamais pris sa retraite de la musique. Avant même d'assister aux funérailles du personnage créé à la fin des années 80, il était déjà à composer de nouvelles pièces. Brûler la guitare de Leloup, c'était juste pour le fun. Juste pour s'amuser à arrêter d'être quelque chose qu'il n'aimait plus.

"J'en avais plein le cul de faire la vedette et de me faire psychanalyser dans les médias. Je trouvais pas ça drôle. Leloup, j'en ai marre. Je chanterai pas mes vieilles chansons jusqu'à la fin comme Aznavour et les Rolling Stones. J'ai brûlé ma guitare ! C'était un thrill !" raconte-t-il en s'étonnant qu'on n'ait pas compris et que plusieurs aient oublié d'en rire.

"On dirait que les gens vont voir des films et qu'ils ne savent même plus que c'est un film !"

Du coup, il ajoute que s'il est devenu brièvement Massoud Al-Rachid, c'était juste pour s'amuser, pour le plaisir de porter un fez et de faire des photos avec.

Ne vous attendez pas toutefois à ce qu'il ressuscite le personnage Leloup parce qu'il a repris une guitare. S'appelle Deadwolf maintenant. "Jean Leloup chantera plus jamais ses anciennes tounes. Y aura pas de show de retrouvailles le 24 juin avec Jean qui chante Isabelle devant des ex-granos devenus bourgeois."

Tout au long de l'entrevue, Jean Leclerc fustigera la bourgeoisie. À cause de ses prétentions, de son individualisme, de son indifférence, de sa soif du fric.

"On est une gang de gros tabarn... qui vivent dans le confort et qui veulent pas entendre parler de ce qui rend inconfortable."

Or, pour lui, le rock'n'roll sert justement à ça : parler de ce qui rend inconfortable. C'est ce qui le définit. "La musique, pour moi, c'est la contestation. Avant (lire à l'époque Jimi Hendrix), les bands vendaient jamais de pub. Là, ils ont l'air d'une pub. Le rock, c'était la protestation contre l'autorité, contre l'establishment", dit-il, convaincu de devoir poursuivre dans cette voie.

Cri douloureux

D'ailleurs, son Mexico est, sous une enveloppe d'ironie et d'humour noir, un cri douloureux contre l'hypocrisie, la violence et l'indifférence d'une société devenue aveugle à la misère de l'autre. "Ce disque-là est beaucoup contre le non-dit, la bonne conscience des petits couples bourgeois."

Très différent d'un Leloup ? Oui et non. On s'y reconnaît, c'est sûr, mais disons que Leclerc s'est offert beaucoup de liberté dans les formes, laissant parfois de côté les mélodies pour simplement dire ses sales affaires sur des riffs de guitare hallucinants.

"On dirait qu'au Canada, y a pas d'autre questionnement que la crise de la trentaine, pis de la quarantaine. On sort dans la rue pour la légalisation du pot ! Alors qu'il y a des guerres... J'aimerais voir un peu d'héroïsme chez les politiciens."

En attendant l'héroïsme, Jean Leclerc retournera faire du cinéma. Il ne voit pas quand il aura le temps pour la musique puisqu'il a trois ou quatre projets de film dans ses cartons. Prochaine destination ? Probablement la Thaïlande pour parler d'un couple asiatique qui renie son fils obèse !

vlesage@lesoleil.com

Les idées claires

Qu'est-ce qui passe par la tête de Jean Leclerc quand il entend les mots...

RETRAITE : Retraite des troupes de l'Irak. (Il vient de voir passer un soldat dans la rue.)

MORT : Normal.

FILLE : L'autre moitié de la population. Attends, je vais t'en dire beaucoup plus : femme voilée, souffre-douleur de l'autre moitié de l'humanité, clitoris mutilé, lapidation, femmes brûlées en Inde. Tout reste à faire. Les filles de nos pays devraient s'intéresser plus à ça. Les hommes aussi.

IMAGE : Partout, partout. Que des images.

SUCCÈS : Échec.

ARGENT : Utile.

RACINE : Dans la terre.

BONHEUR : Ça n'est pas possible si c'est pas vrai. Le seul bonheur possible, c'est quand t'as dit ce que tu pensais et que tu penses ce que tu dis. C'est quand t'es sûr d'avoir fait ce qu'il fallait faire. C'est aussi la gentillesse, la compassion et un courage que je n'ai pas.

Photo Dominique Thibodeau: Selon maman Reine Ouellet, dès que son fils est confortable, il cherche le péril.

Deux chansons commentées

PERSONNE II
Je fais le solo avec la guitare de DeadWolf. C'est une guitare incombustible. Ok, le manche est en bois, mais la guitare est en métal. Elle s'est mise à me parler à travers le speaker. Elle m'a dit: t'as jamais fait un bon disque de ta vie, faudrait ben que t'en fasses un! Ce disque élimine tout ce qu'il restait de mononc' en moi.

TANGERINE
Ça parle du film Elephant (Gus Van Sant). C'est des jeunes qui tuent et se suicident, mais le gars qui regarde le film, c'est le meilleur moment qu'il passe avec la fille. C'est un texte qui proteste contre l'amour mièvre de magasinage. J'essaie de faire une chanson d'amour qui soit pas mièvre.
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Dernière mise à jour le 21 octobre 2006.
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