Jean Leclerc: la vie après Leloup
par Kathleen Lavoie
dans Le Soleil, 17 avril 2004
Entrevue

Montréal - Ils sont nombreux à ne pas croire au suicide artistique de Jean Leloup. Il faudra pourtant s'y faire. Celui qu'on a connu sous ce pseudonyme est passé à autre chose. Après avoir brûlé sa précieuse Fender Jazzmaster au tournant de l'année - Ô sacrilège ! - , il a immédiatement appelé ses parents. "J'étais tellement content ! Je leur ai dit que maintenant, ça allait aller. Que j'allais redevenir parlable."

Quand Jean Leclerc nous reçoit désormais, c'est dans son nouvel antre, le quartier général des productions du Roi Ponpon, un local situé dans un complexe industriel à Montréal, où de jeunes créateurs en ébullition refont le monde en images.

Au pupitre, une jeune femme effectue le montage d'une séquence de Noir Destin que le mien, le prochain projet du musicien devenu scénariste. Sur l'écran, une scène loufoque se déroulant dans un hôpital psychiatrique et mettant en scène un personnage incarné par un Leloup arborant une tête à la Elvis. Le tout, on s'en doutera, marqué de son sens de l'humour bien particulier.

S'il n'en tient qu'à lui, la tâche à laquelle se consacre Leclerc (on ne s'habitue pas, mais enfin...) en compagnie de son collaborateur Carlos Soldevila constituera son futur. Outre son Noir Destin... en gestation, celui qui a appris le métier en regardant par-dessus l'épaule des monteurs de ses vidéoclips vient de signer La Mygale jaune, présentementsur grands écrans à Montréal et à Québec.

"C'est fatigant, le rock'n'roll. C'est pas possible de faire une vie normale avec ça, mais ce n'est pas vraiment ça qui a fait que je voulais arrêter la musique. Je voulais faire autre chose. Le rock'n'roll, je l'avais fait. Si j'avais continué, je me serais répété. J'ai décidé d'aboutir complètement ce que j'avais déjà fait. J'ai monté un band à mon goût et j'ai fait un film de mes derniers shows. À la fin, on a décidé d'aller brûler la guitare. L'histoire du film, c'est ça. C'est le voyage du gars qui va brûler sa guitare et qui dit qu'il veut devenir sérieux", a indiqué au SOLEIL un Leclerc relaxe, ajoutant qu'il ne comprenait pas pourquoi on avait fait tant de cas de sa "mort".

Gare à ceux, donc, qui prendront au pied de la lettre l'histoire racontée par Leclerc dans La mygale jaune. Si elle s'inspire de son auteur, elle demeure imaginaire.

"Je me suis amusé à mourir. J'allais brûler ma guitare. Ça faisait un beau personnage. J'avais un vrai gars sous la main qui voulait arrêter sa carrière de musique et je voulais faire un film là-dessus. Moi, j'aime ça écrire. J'ai vu là une maudite bonne occasion de faire une longue histoire."

Ce premier rejeton de Jean-Leclerc-le-scénariste, fera son apparition dans les bacs des disquaires mardi. Dans ce document, le "cinéaste" propose des images enregistrées lors de sa dernière tournée, intercalées dans une fiction tournée sur le ton de l'ironie. Ainsi, on retrouve le même univers singulier auquel nous a habitués Leclerc dans les vidéo de son alter ego musical. Même plans flous, même grains dans l'image, même mouvement, même noirceur.

"Je regarde pas ça, les films tout bien léchés, explique-t-il. Je regarde pas ça ce que le monde regarde d'habitude, ça fait que j'ai pas l'impression de me distinguer par ce que je fais. C'est pas mal moins flyé que ce que je regarde", fait savoir celui qui vient de découvrir la section italienne de son vidéoclub !

Au palmarès cinématographique de Leloup, on retrouve Fellini, Visconti, le "démentiel" Pasolini, son préféré, et puis Allen. "Ça, c'est drôle en chien !" Loin de Leclerc, le blockbuster américain !

"J'aime les arts visuels, j'aime l'abstrait. Je comprends pas les histoires de cadrage en tiers, le cadrage hollywoodien. Ça, je ne comprends pas ça. en même temps, c'est vrai que les gens s'habillent en beige..."

Dans le boîtier d'Exit, on retrouvera trois disques, soit le DVD de La mygale jaune, à l'affiche au Cinéma Cartier jusqu'à demain, ainsi que deux CD live enregistrés avec son big band au cours de son ultime tournée de l'automne 2003.

"On a fait ça avec des budgets pancanadiens !", a-t-il fait savoir, un large sourire au visage, suggérant que jamais deniers publics n'avaient été mieux dépensés !

Notre homme n'allait quand même pas tirer sa révérence, un événement qu'il est loin de considérer inusité, sans marquer le coup.

"Chez les Anglais, rappelle-t-il, c'est courant. Tu commences la musique à 15 ans, tu fais une ride, t'arrête à 35-40 ans. C'est un classique. Les bons bands de rock'n'roll, c'est ça qu'ils font. Le rock'n'roll, c'est un trip. C'est comme les gens qui font des expéditions ou les athlètes olympiques. T'es pas obligé de faire ça toute ta vie. T'es pas non plus obligé d'attendre d'être plus capable."

Sinon, il faudrait être capable de vivre avec la business. Et de ça, Leclerc en avait assez.

"Le vedettariat, c'est fatiguant parce que tu ne vends pas des tounes, tu vends le monsieur. C'est Garou qui est à vendre, c'est pas les chansons de Garou. Tout ce formatage-là, ça m'écoeure. Je suis tanné de ça, de ce culte-là de la personnalité. On va finir par être tous des gourous. Au moins, quand tu écris un livre, t'es pas obligé d'aller le réciter tous les soirs", fait savoir l'artiste qui a considérablement réduit ses activités de promotion.

Pour lui, fini la résistance à l'intérieur du système. "Les compromis qu'on me demandait, c'était comme ta matante qui te demande de mettre tes belles culottes à Noël. C'était des compromis faciles à refuser, mais lassants à refuser. Si j'avais signé dans un nouveau pays, on m'aurait demandé de faire la tournée des quiz. Ça m'intéresse pas. Tant que j'ai de l'argent pour vivre... C'est tough comme métier. Pour moi, écrire, c'est plus facile que d'aller rassembler des foules et faire du rock'n'roll. C'est le plus dur métier au monde à part galérien !"

Pas facile non plus le monde de l'édition, apprend tranquillement celui qui se rappelle sa première visite chez un éditeur avec le manuscrit de Noir désir qu'est le mien.

"Ça m'a pris quatre ans écrire un roman de 200 pages que j'ai réduit à 150, puis à 80. Tout ce qui reste de ça, c'est 20 bonnes pages. C'est un ratio de un pour 10. En chansons, j'en faisais une bonne sur 10. C'est pareil. J'avais amené le livre à Boréal. Heureusement, Pascal Assathiany avait trouvé ça mauvais ! Je lui avais amené la version de 80 pages. Ce n'était pas un roman. Une journée après l'avoir rencontré, j'ai coupé 20 pages", se souvient celui qui s'intéresse aussi à la nouvelle.

Ce sont d'ailleurs ses nouvelles qui avaient servi de prélude au téléfilm Les aventures d'Herbert au pays de Kunderwald, diffusé à l'époque par Radio-Canada. Jean Leloup se dissocie aujourd'hui de cette émission qu'il n'avait ni produit, ni réalisé.

"Ils ont pris mes nouvelles et ils ont fait de la marde avec ça. C'est pas moi qui ai fait ça. À l'époque, j'étais trop proche, j'ai été poli, mais j'étais en maudit. (...) Beaucoup de productions sortent mal à cause de la bêtise des intervenants. Ç'a tombé sur mon dos et je l'ai laissé tomber sur mon dos."

Pourquoi donc avoir pris le blâme pour le flop ? "Ça me valorise en tant qu'humain, laisse-t-il tomber. Si les gens veulent savoir si je suis capable de faire un film, ils ont rien qu'à regarder mes tounes."

Grand écran, petit écran, il n'y a pas de support de prédilection chez Leclerc, le réalisateur. Pas non plus de réelle ambition.

"Je ne cherche pas à faire du box office, mais le problème, c'est que j'en fais tout le temps ! L'important, c'est que je m'amuse. Et puis, je n'ai pas peur de remplir mes salles... Je vais m'arranger pour être agréable et sympathique même si je parle de choses sérieuses ! Surtout, je vais faire attention pour ne pas être hermétique."

Cette ligne directrice, Leclerc entend bien la suivre dans ses projets futurs. Comme bien des cinéastes, il souhaite explorer son monde intérieur pour mieux ouvrir sur un propos universel.

"C'est comme si on forçait notre conscient à travailler avec notre inconscient pour comprendre nos problèmes existentiels. C'est vraiment bizarre l'explosion que ça produit..."

Photo: La Tribu, traitement infographique Le Soleil.
Photo: Archives Le Soleil, Jean-Marie Villeneuve.
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Dernière mise à jour le 25 avril 2004.
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