Jean Leloup - Volte face
par Kathleen Lavoie
dans Le Soleil, 23 septembre 2000
Entrevue

MONTRÉAL - Jean Leloup a fini par avoir le dernier mot. Et la victoire est douce au coeur de l'enfant terrible de la pop québécoise. « Il fallait avoir le guts de dire "Grosse Corvette, p'tite quéquette !"», lance-t-il, l'air satisfait.

L'oeil vif et la langue déliée comme jamais, Leloup s'emballe comme un enfant quand il parle de son triomphe sur les diktats de l'industrie.

C'était il y a un an. L'interminable série de spectacles estivaux avait fait des ravages. Oppressé par l'ampleur de sa machine, le chanteur a tout simplement pété les plombs.

« J'étais tanné, écoeuré, du gros volume. De un, j'étais rendu gros ( !) et de deux, les shows étaient devenus gros, les festivals étaient gros, les amplis étaient gros et les camions étaient gros... », se rappelle-t-il avec horreur, soulignant que le coût total de son spectacle était plus élevé que le PNB du Gabon.

Perdu au milieu de tout ce « bruit », Leloup ne reconnaissait tout simplement plus sa musique - celle qui jaillit de sa Gibson 1956 lorsqu'il la gratte pour son plaisir - et en était dégoûté. Le jour où on lui a expliqué que pour mieux s'entendre chanter dans « ce volume », il lui faudrait porter des moniteurs miniatures dans les oreilles, ce fut trop (« On n'est pas nés avec des machins dans les oreilles pour s'entendre hurler ! », s'indigne-t-il encore à cette perspective).

C'est à ce moment qu'il a décidé de « parler plus fort que les autres » et d'effectuer le virage qu'il souhaitait depuis déjà trop longtemps.

Acoustique

Malgré la réticence de son entourage (on lui disait qu'il faisait l'artiste et qu'il nuisait à la bonne marche des opérations...), il n'a pas hésité à débrancher, réduire, amincir. D'où l'idée d'une nouvelle tournée. Acoustique, cette fois.

« Je ne suis vraiment pas granola, dans le sens de new age. Zéro ! Zéro ! Zéro ! Je ne me lancerai quand même pas dans le pot-pourri ou dans le bâtonnet dansant ! », met en garde Jean Leloup, qui souhaite simplement un retour à une formule plus souple et permettant suffisamment de spontanéité pour abandonner, quand le coeur lui en dit, le studio pour la cuisine ou les amplis pour l'acoustique naturelle d'un parc.

« J'ai fini la stretch de spectacles de l'été dernier et je me suis retrouvé à jouer de la guitare chez moi. C'était terrible, je trouvais que ce que je faisais sur cette petite guitare était meilleur que ce que je faisais en show. C'était tellement pourri ! On me disait que j'étais génial, mais je ne me sentais pas du tout comme ça », laisse entendre le chanteur dont le dernier album, Les fourmis (1998), a été certifié platine en mai (plus de 100 000 exemplaires vendus).

Leloup ne voit pas sa volte-face comme un coup de tête, mais plutôt comme coup de barre, qui le ramènera plus près de ce qu'il est vraiment. Une simple question de cohérence.

« C'est comme si quelqu'un écrivait en japonais et que ses textes étaient d'abord publiés en anglais. (...) J'ai grandi dans des pays pauvres. À 11 ans, je faisais déjà de la musique. Et je n'avais besoin que d'une guitare sans ampli pour ça. La guitare est meilleure comme ça. Une guitare avec trop de volume, c'est comme la lutte sumo: il y a trop de graisse. Moi, je préfère le volleyball », explique-t-il en cette période olympique.

Pour Leloup, il n'est cependant pas question de faire le pépère, de ralentir la cadence et de devenir, croit-il, « plate et vieux » comme tous ceux qui enregistrent des albums acoustiques.

« Pour moi, l'énergie, ce n'est pas une question de gros volume. Ce n'est pas écrasé non plus. Il faut que ça rebondisse ! (...) C'est possible d'allier vitesse et énergie quand on est acoustique, mais on n'est pas obligé d'être triste. Je vais essayer de ne pas confondre introspection et nombrilisme, parler au public et psychanalyse », continue l'original qui parachève actuellement un roman (Le tour du monde en complet), sorte de « manuel de la résistance des gens qui ne veulent pas embarquer dans le système ».

Un ennemi

Depuis ses tout débuts, Leloup se bat contre la dictature du « vieux ». Et s'il faut le croire, il n'est pas prêt d'arrêter.

« Mon principal ennemi, quand j'ai commencé à faire de la musique, il y a 10 ans, c'était le vieux à l'esprit fermé. J'avais préféré être jeune, même si je faisais preuve de trop d'enthousiasme », se rappelle, sourire en coin, le chanteur de 39 ans.

Pour son nouveau départ, Leloup a choisi la formule trio (avec à la basse son complice de toujours, Alexis Cochard, et à la batterie et aux percussions, un nouveau collaborateur, Stephen Gaudreau). Il ne s'agit cependant pas pour lui d'une forme fixe et obligatoire à l'atteinte de son objectif.

« Ça ne m'empêchera pas d'ajouter autant de monde que je veux. Si ça me tente de faire lever les gens au plafond, j'vais le faire. Mais pas au prix de la qualité. C'est rendu qu'il faut installer le système de son trois jours à l'avance si on veut que ça ait de l'allure. Tant et aussi longtemps que la technique ne nous permettra pas de mettre le volume dans le fond tout en donnant de la qualité, je vais laisser faire. J'ai l'impression qu'on étourdit les gens. Ça m'a ruiné dans ma tête. Ces camions-là, je trouvais que ça manquait de subtilité. »

Ainsi amaigrie, le clan Leloup pourra élire domicile un peu n'importe où. Théâtres, cafés, cuisines... Il n'y a plus de limites !

« Les salles de théâtre, par exemple, ça me permet de faire des choses pas mal plus pétées. J'ajoute de la poésie. Je raconte des histoires jamais racontées, des histoires de basse-ville. Mes textes sont de plus en plus surréalistes. Ça va respirer. Je joue beaucoup de guitare électrique. Ça groove... Il faut que ça groove. Même Cesaria Evora groove au coton. Je suis très sensible au rythme en général », fait savoir l'original, qui a craqué pour la diva aux pieds nus lors d'un récent spectacle au Spectrum de Montréal. « J'ai passé la soirée debout à danser », fait-il savoir.

Effet d'entraînement

Jean Leloup ne détesterait pas que son virage « amaigrissement » initie un certain mouvement chez les artistes québécois.

« Je veux que le monde se remette à faire de la musique, que le monde joue... Ça fait longtemps que les musiciens veulent ça. Mais il en reste beaucoup qui pensent qu'il faut faire du bruit pour avoir du succès. C'est comme les filles qui pensent qu'il faut avoir des gros seins pour pogner et les gars qui pensent qu'il faut avoir des gros chars pour pogner... Ben moi, je change de char ! Je choisis le go-kart ! Je veux revenir à ça... »

Leloup brise soudainement le fil de ses pensées pour revenir au temps de son enfance en Algérie. À l'époque, seules ces petites voitures artisanales, fabriquées à partir de vieux « bearings » d'auto et de quelques planches, suffisaient à amuser les plus jeunes.

« On s'amusait avec des frondes aussi. Ça, c'était l'fun ! Je vais essayé de retrouver cette simplicité-là dans le spectacle. Le son, ce sera celui de ma guitare acoustique (toujours la même Gibson...). Cette guitare, ce sont les dieux qui me l'ont envoyée. Elle est assez petite pour voyager et assez jazzée pour le rock» », explique celui qui, au cours de la dernière année, a joué les chanteurs de club et les écrivains globe-trotters en Nouvelle-Zélande, en Australie et à Tahiti.

Cette simplicité, Jean Leloup désire l'appliquer à tous les aspects de sa vie. « Quand je vais avoir des enfants, ne comptez pas sur moi pour que je dise qu'ils sont fantastiques. Je vais les amener avec moi dans les camions. Ça va éviter de les rendre gâtés pourris... »

Être vrai, intègre par rapport à sa musique, voilà la nouvelle résolution de Leloup. Pour ce qui est du talent, le bonhomme ne doute pas de ses capacités...

« Se battre contre les faux-semblants, ça demande un effort constant. Mais il faut rester proche de soi-même, refuser la facilité, les gros char. Je suis chanceux. Je ne suis pas obligé de bûcher pour que le monde aime ça. Ça, c'est tripant. Je n'ai pas besoin de me forcer pour être bon. Si je voulais devenir milliardaire, je saurais quoi faire. Mais ce n'est pas ce que je veux faire. Je veux ne pas travailler trop fort sur ma carrière, composer et améliorer ce que je fais. Je trouve que le monde mérite mieux que la soupe romantique ou révolutionnaire qu'on lui sert. »

Jean Leloup fera entendre ses chansons « nouvelle cuisson », les mieux vieillies comme sa toute nouvelle cuvée (Il écorche Luc Plamondon au passage...), les 5, 6 et 7 octobre, à 20h30, au Capitole de Québec.


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Dernière mise à jour le 6 octobre 2000.
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