Jean Leloup: à la recherche du temps parfait
par Geneviève Bouchard
dans Le Soleil, 31 janvier 2015
Entrevue

(Montréal) Jean Leloup en parle comme du «temps parfait». Il s'agit de ce rythme naturel que trouve une chanson qui prend forme lorsque les musiciens jouent ensemble pendant plusieurs heures.

«On ne met pas de métronome. Si tu mets un métronome, tu es foutu. On joue, on joue et, à un moment donné, on trouve notre rythme. Les personnes deviennent comme une personne. Ça s'appelle connecter. Et quand tu connectes, c'est là qu'arrive la toune. C'est comme ça que j'aime ça. [...] Il faut que tu voyages avec la toune et là, tu trouves le temps parfait.»

Ce temps, Jean Leloup dit l'avoir cherché dans la création d'À Paradis City, un huitième album né sous le signe de l'apaisement et attendu mardi. «J'ai commencé à chercher il y a 30 ans et là, j'ai trouvé un son que j'aime, se réjouit le chanteur. Le mélange avec la contrebasse et tout ça... C'est un rock mellow, mais avec un gros edge. Les violons, ça, c'est du edge. J'ai tripé en maudit à faire ce disque-là.»

Cette collection bien tassée de 10 chansons rassemble des textes écrits au cours des 10 dernières années au fil de plusieurs voyages et des musiques nées de jams avec une bonne quinzaine de musiciens, enregistrées avec ce souci de leur laisser trouver leur propre cadence. Toutes sauf deux, plus «angoissantes», qui se sont moulées au tic-tac de l'horloge. Les bateaux nous rend témoin d'une main tendue à une ancienne flamme dans un appel téléphonique chargé d'émotion, Retour à la maison nous amène dans la tête «d'un gars qui a trop pris un coup et qui se demande ce qu'il va faire», selon le synopsis qu'en fait Leloup.

«Si tu as envie qu'une toune soit heavy, tu peux mettre le métronome, explique-t-il. Ça nous donne une impression que le temps ne lâche pas. Là, l'horloge fait partie de la toune. Elle joue avec les musiciens.»

Prise de conscience

Pour ce créateur anticonformiste, cette nuance entre le tempo de l'horloge et le pouls naturel d'une chanson tombe sous le sens. Celui qu'on a successivement appelé Leloup, John the Wolf, Jean Leclerc, Johnny Guitare, Roi Ponpon ou Johnny Well-tiper (dans le projet musical The Last Assassins) a toujours fait les choses à sa manière, fait fi des étiquettes et du décorum imposé par la mécanique du show-business. Et ce n'est pas dans la cinquantaine que les choses vont changer.

Rencontré cette semaine au bureau de sa gérante, où il tenait salon pour les représentants de la presse, c'est un Jean Leloup souriant et enthousiaste qui enchaînait les entrevues, entrecoupées de pauses cigarette. Pas de réponses toutes faites, ici. Le monsieur n'a jamais été fort sur la cassette. «Je n'arrive pas à dire la même chose, je me contredis toutes les deux entrevues, rigole-t-il. C'est ça, la musique ou la poésie. Ça peut être triste, ça peut être joyeux. Tu n'es pas obligé de te fatiguer avec une définition. Quand c'est logique, c'est un plus un donne deux, inquiète-toi pas. Mais pour le reste, attache ta tuque!»

Déjà, l'écoute du nouvel album annonçait un changement de ton par rapport à Mille excuses Milady, le dernier solo de Leloup lancé en 2009, moins d'un an après l'éprouvant Pow-wow présenté au Colisée de Québec (lire l'autre texte). La musique s'y fait plus douce, plus ronde. Au lieu de la longue confession imprimée dans le livret de Mille excuses..., celui d'À Paradis City se résume à l'essentiel, plus un boni : les paroles des chansons et des accords de guitare.

Et si la mort s'y trouve presque partout - «j'ai toujours fait ça avant aussi», nuance Leloup -, la lumière réussit à percer. «Ce sont tous des personnages, mais qui doivent avoir rapport avec moi en même temps... Mais ce sont des personnages qui sont rendus à un point critique», analyse le chanteur à propos des Willie, Petit Papillon ou autres voyageurs qui habitent ses pièces.

Leloup n'ira pas jusqu'à dire qu'il filait un mauvais coton au moment de présenter son dernier album. «Ça allait. Je pense que l'écriture et la musique, ç'a toujours été à part. Ç'a toujours été comme intact. Mais il y a l'autre affaire, l'affaire du vedettariat. C'est plus ça...» laisse-t-il tomber.

Le musicien évoque une prise de conscience qu'il a eue il y a environ trois ans et qui l'a poussé à changer certaines habitudes, à chercher «le sens de la vie».

«Je me suis vraiment mis de mauvaise humeur avant de trouver ça, il y a trois ans. Le sens de la vie, ce n'est pas vrai que c'est de réussir, de faire des gros shows, d'être connu, tranche-t-il. Ce n'est pas vrai. Qu'est-ce qui vaut la peine et qu'est-ce qui ne vaut pas la peine? Il y a trois ans, j'ai dit : ça va faire, il faut absolument que je trouve une réponse à ça, sinon il n'y a plus de direction.»

En abordant la chanson Retour à la maison, où il met en scène la souffrance d'un personnage malade, «allé trop loin» dans certains abus, Leloup s'ouvre un peu plus. «C'est sûr qu'à un moment donné, je l'ai échappé, avance-t-il. Pis là, tu en viens à te dire : "Ouin, c'est pas bon."» Il prend une pause, réfléchit, puis reprend : «Il a fallu que je réalise que l'alcool, c'est no way. Ça ne me fait pas physiquement. Chimiquement, ça ne marche pas. Ça va avec ce qu'ils appellent la bipolarité. C'est une génétique. Des gens vont prendre un verre ou deux et ils sont contents. Il y en a d'autres où ça crée un mécanisme d'entraînement. Tu ne peux pas y toucher et c'est tout. C'est comme le diabète.»

S'il en parle ouvertement, Jean Leloup ne souhaite pas que le sujet prenne toute la place et éclipse ses nouvelles créations. Mais il pourrait y revenir avant longtemps. «Je veux éventuellement faire un peu de travail pour que le monde le sache jeune, c'est quoi cette affaire-là, ajoute-t-il. Les gens ne sont pas cultivés là-dessus. L'avoir su jeune, j'aurais aimé ça. C'est tabou et je ne sais pas pourquoi...»

De la controverse au triomphe

Un passage controversé au Colisée, un triomphe sur les Plaines. Les deux derniers grands concerts de Jean Leloup dans sa ville d'origine ont joué dans les extrêmes.

Lorsqu'il revient sur son fameux Pow-wow créé en 2008 pour souligner les 400 ans de la ville de Québec, le chanteur réitère en somme ce qu'il avait plaidé au lendemain du spectacle, où il avait notamment invectivé son public et encaissé une critique dévastatrice : la piètre qualité de la sonorisation, doublée d'un problème d'oreilles, lui a fait perdre les pédales.

«Moi, j'ai toujours eu du fun à faire de la musique, assure-t-il. Mais il a fallu que je décide de ne plus faire de shows dans des places où il y a de l'écho. Ça, c'est fini. Tu ne sais jamais ce que ça va donner, les oreilles te sillent. C'est embêtant. Moi, je compose de la musique tout seul, dehors, et c'est mon coeur qui parle. Quand tu mets ça dans un contexte où il y a une impression de bruit, c'est comme si tu prenais ce que j'ai de plus beau et que tu me demandais de faire semblant que ça marche alors que ça ne marche pas.»

Le spectacle, rappelle-t-il, devait à l'origine avoir lieu à l'extérieur, au Relais du Lac-Beauport. «Il était conçu pour ça, ajoute-t-il. Si on m'avait dit que j'allais jouer dans un aréna, j'aurais juste dit non.»

Dans ces circonstances, le concert La nuit des confettis présenté sur les Plaines au Festival d'été 2012 a pris des airs de revanche et de réconciliation. «J'étais très content, l'autre fois, de voir cette foule la plus sexy. Ça m'a donné des ailes pour faire un nouveau disque!» lance Leloup, mi-sérieux, ajoutant qu'il avait pris son pied pendant cette tournée assise sur ses grands succès... Même s'il n'a jamais été trop porté sur la nostalgie.

«Ça faisait plusieurs années que je n'avais pas fait ça. Le faire tout le temps, non, mais [à l'occasion] un récital de toutes les tounes qui sont les meilleures, ça me plaît. Dans le fond, tu composes environ une toune qui a de l'allure par année. Tu as beau en composer autant que tu veux, t'es chanceux d'en avoir une [bonne] par année. Et encore... Ça fait 30 ans que je fais ça, je peux dire que j'ai peut-être 20 chansons que je vais avoir du fun à refaire.»

Ne lui demandez toutefois pas de se prêter au jeu trop souvent. La routine, très peu pour Jean Leloup. «Ce n'est pas une job, ce que je fais, résume-t-il. Ce n'est pas un métier. Le monde a fini par penser que c'est un métier, mais ça n'a rien à voir. C'est une passion et tu ne peux pas le faire quand ça ne te tente pas. Il faut tout le temps que tu trouves de nouvelles tounes. Si j'avais juste fait ça il y a 20 ans, chanter les mêmes chansons tout le temps, tu n'aurais pas les autres...»

Photo: LA PRESSE, MARCO CAMPANOZZI. Rencontré cette semaine au bureau de sa gérante, où il tenait salon pour les représentants de la presse, c'est un Jean Leloup souriant et enthousiaste qui enchaînait les entrevues, entrecoupées de pauses cigarette.

Photo: LA PRESSE, MARCO CAMPANOZZI. «J'ai commencé à chercher il y a 30 ans et là, j'ai trouvé un son que j'aime. [...] J'ai tripé en maudit à faire ce disque-là» - Jean Leloup, parlant d'À Paradis City, son dernier album

Photo: LA PRESSE, MARCO CAMPANOZZI. Lorsqu'il revient sur son fameux Pow-wow créé en 2008 pour souligner les 400 ans de la ville de Québec, Jean Leloup réitère en somme ce qu'il avait plaidé au lendemain du spectacle : la piètre qualité de la sonorisation, doublée d'un problème d'oreilles, lui a fait perdre les pédales.
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Dernière mise à jour le 31 janvier 2015.
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