Entrevue avec Jean Leloup: Rencontre du troisième type
par Marie-Eve Guérin
dans Le Soleil, 3 août 1996
Entrevue

On m'avait prévenue : «Jean Leloup n'accorde aucune entrevue avant la sortie de son prochain album». Autant dire que je n'espérais pas grand chose. Penaude sur mon petit banc dans le fond d'un bar d'Auteuil vide, j'attends celui qui ne voudra rien savoir de moi.

À 15 h hier, l'homme se pointe avec sa gang pour son test de son. Visiblement en bonne forme, le chanteur salue ses techniciens, quête des cigarettes et signe même, de bonne grâce, une série de vieilles photos de lui qu'un admirateur fétichiste lui présente.

Chose faite, celui qui dit ne pas aimer se faire reconnaître dans la rue s'approche de ma table et dit, dans un rire désespéré : «J'vas toute crisser ça là, moé!»

Doucement donc, à reculons presque, après avoir échafaudé des dizaines de scénarios, envisagé tous les refus possibles, je me décide à l'aborder par la méthode «cool» : «Salut, j'm'appelle Marie-Ève, je travaille pour LE SOLEIL. Y paraît que les entrevues, ça te tente pas trop?»

Je dois avouer que sa réponse me prend carrément au dépourvu. Il veut. Il veut? «Non, non, pas de problèmes», me dit-il, l'air réceptif, le sourire aux lèvres même. Mais son directeur de tournée qui passait par là s'empresse de me remettre les pieds sur terre : «Après le "sound check", on verra...»

«O.K., quand vous voudrez, les gars, je suis pas pressée...» Jean Leloup, lui non plus, n'est pas pressé. Il va prendre un peu de soleil, rentre travailler un peu, s'amuse avec ses musiciens, me fait découvrir quelques-unes de ses nouvelles «tounes» et... vient me voir!

J'ai dû lui parler quinze minutes. Et une chance que j'avais des cigarettes pour le retenir parce que ç'aurait sûrement été moins long. «Les entrevues, c'est embarrassant, parce que ça souffle un personnage. Y'a quelque chose de pas normal là-dedans. Faut toujours penser à ce qu'on va répondre. Ça devient ridicule le vedettariat, tu sais plus si c'est ta musique ou toi qui intéresse le monde.»

Franchement, à le voir aller et venir, boire dans mon verre d'eau, s'embourber dans ses réponses, je ne crois pas que son personnage est si gonflé. Sympathique, gentil même, mais vraiment déboussolant le mec.

Ses trois ans d'absence, il les a passés à écouter de la musique, «beaucoup de reggae», à jouer de la guitare classique, à composer une soixantaine des chansons, et à s'emmerder aussi.

Il revient sur scène pour essayer de donner une âme à un show électrique. Par goût, pas pour l'argent, m'assure-t-il. «Y'a rien qui a vraiment changé, je fais la même chose qu'avant.»

Leloup, faut pas chercher, chante pour que le monde danse, pour que le monde «trippe», pas pour dire quelque chose ou pour faire passer un message. Pour que je comprenne bien, il me chante un petit bout de «toune»: «Fume un cone Babylone, je sais que tu silicones...» Je pige tout de suite...

Et dans deux ans, dans cinq ans, va-t-il encore tout foutre en l'air? Comme si la question ne se posait pas, le chanteur répond sans hésiter : «Ben non, je commence juste à découvrir la musique...»

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Dernière mise à jour le 1 novembre 2001.
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