Leloup féroce
par Valérie Lesage
dans Le Soleil, 8 septembre 2008
Critique

Génial pour les uns, odieux pour les autres : le fracassant retour de Jean Leloup sur scène au Colisée aura été un grand sujet de conversation la semaine dernière. Forums de discussion sur Internet, débats et lignes ouvertes à la radio : les critiques négatives du spectacle sont devenues un sujet de controverse — tellement que ma critique s'est retrouvée parmi les nouvelles les plus lues de la semaine sur le site de Cyberpresse. Pourtant, il n'y avait pas 200 000 personnes comme à Céline ou à Paul McCartney!

Les avis sont partagés : une partie du public remercie la critique d'avoir osé dire tout le mal qu'il a pensé du spectacle. L'autre partie prétend que la critique n'a rien compris. Ceux qui ont aimé reprochent aux autres de ne pas avoir compris le personnage joué par Leloup.

Je ne crois pas à l'idée du personnage. Je n'ai pas perçu de second degré chez le faux chef indien incarné par le Roi Pompon. L'humoriste Martin Matte et le chanteur Pierre Lapointe s'amusent à jouer des fendants sur scène et ils le font avec un petit sourire en coin qui fait crouler de rire; c'est sans équivoque. Philippe Katerine peut nous faire chanter gaiement que nous sommes des imbéciles, mais encore là, le ton ne laisse place à aucune ambiguïté : c'est de l'humour fantasque.

Au Colisée, l'autre soir, Jean Leloup engueulait le monde et ce n'était pas rigolo du tout. Il a traité de «niaiseuse» une fan qui voulait le prendre en photo, il sacrait et lançait d'un ton excédé qu'il n'avait rien à faire de l'admiration de ses fans, des fans qui «beuglaient» trop à son goût.

C'était la première fois de ma vie que j'entendais un artiste se faire huer par son public. Et comme ce public avait payé le billet de 60 $ à 90 $, le degré d'amour était élevé.

Pendant 24 heures, après le spectacle, je me suis demandé ce qui pouvait amener un artiste à se comporter ainsi avec ceux qui l'admirent et le font vivre. La seule raison que j'ai trouvée, c'est le mal-être. Leloup était probablement trop mal avec lui-même pour être capable de recevoir ce que les gens lui donnaient.

Parce que sinon, pourquoi un artiste voudrait s'inventer un personnage aussi odieux? Odieux et incohérent. Car il se fâchait devant les débordements d'admiration, mais quand la foule ne dansait pas assez à son goût, il la fouettait à nouveau. «Attendez donc d'être vieux pour être plate», lançait-il d'une voix méprisante.

Des fans irréductibles me disent que c'est un besoin de provoquer. Je n'achète pas l'idée. Leloup provoque quand il écrit des chansons, qu'elles s'appellent 1990 ou Mexico. Il provoque en nous renvoyant l'image d'une société indifférente à son pouvoir d'autodestruction, l'image d'une société moins préoccupée par la misère que par son besoin de consommer.

Quand Leloup engueule son public, ce n'est pas de la provocation. C'est de l'insulte. Or, si la provocation nourrit l'art, l'insulte l'anéantit. Et si l'art de l'insulte existait, Jeff Fillion et André Arthur seraient des artistes immenses qu'on accueillerait au musée par la grande porte.

Alors, au placard le personnage odieux! Et si Leloup éprouve le désir de revenir sur scène, qu'il trouve en lui l'ouverture pour établir un vrai partage avec son public.

Quant à ceux qui acceptent de se faire insulter, par Leloup ou par qui que ce soit, désolée, mais je ne comprends pas.

Photo Le Soleil, Yan Doublet: Jean Leloup a déjà paru mieux dans sa peau.
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Dernière mise à jour le 8 septembre 2008.
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