Jean Leloup
par Poils & cie
dans Poils & cie, 1999
Entrevue

Rédacteur et photographe de Poils & compagnie entrent chez Jean Leloup. Tout de suite, Pharo et Félix deviennent méfiants. C'est avec une appréhension contrôlée qu'ils accueillent les journalistes, épiant leurs moindres gestes. L'arrivée de l'homme au calepin noir et son accolyte aux mystérieux appareils ne semble pas leur plaire...

L'oeil vif de Pharo, le splendide Suluki de notre chanteur, scrute les allées et venues de tout un chacun. Pendant de longues minutes, cette splendide bête reste figée, comme un sphinx, ne déplaçant de gauche à droite que ses pupilles attentives. On sent derrière ce regard perplexe ce qui semble être un questionnement profond : "Qui sont ces types ? Pourquoi ici à cette heure ? Quels drôles d'outils inutiles transportent-ils avec eux ?"

Quant à son compagnon, le mystérieux Abyssin Félix, il reste à l'écart, surveillant de loin les intrus qui installent caméras et flashs indiscrets.

"mes compagnons sont dérangés, c'est certain. Ils n'ont pas l'habitude de la visite", nous lance un Jean quelque peu étonné de la réaction de ses bêtes. "Dans quelques minutes, ça devrait mieux aller. Ils sont anti-stars, je pense."

Des sujets curieux

Après la méfiance s'installe la curiosité. Pharo s'approche doucement, ce qui permet à Jean d'introduire l'une des vedettes du jour.

"Ce beau chien a 1 an et demi. C'est un Suluki, c'est-à-dire un Lévrier du désert. Effilé, vif, c'est un animal calme pour qui la vie repose sur la course, la bouffe et le dodo. La trilogie du bonheur canin, en fait. Quand je l'amène courir, sur le Mont-Royal, il exalte, ennivré de bien-être."

La course, d'ailleurs, l'amène dans un état second, une sorte de transe à la fois mystique et sensorielle.

"Je le sens. Quand on court ensemble, tout son être est en communication avec les éléments du monde. C'est comme s'il sent l'air, le vent et la terre l'effleurer. Il fait partie de l'Univers tout en en étant le centre. C'est ça : la course le rend le centre du monde."

Vite, vite...

L'amour du mouvement, de la vitesse, amène Pharo à prendre des risques, à se jouer de la vie urbaine. Il fugue parfois sans avertissement, traversant trottoirs et rues à vitesse folle, entre les voitures.

"C'est comme si dans sa tête de Lévrier, il incarne ce qui se fait de plus rapide au monde. Peut-être se pense-t-il plus vite que les voitures et camions. Pour lui, dans ces moments, le danger n'existe pas", explique notre personnalité.

"Pharo n'est pas stressé par ses courses folles, mais moi je le suis quand même un peu. Imagine : il court sans regarder, avec comme seul but de courir vite. Rien ne le dérange."

Quelle écoute !

Pharo observe toujours les intrus que nous sommes. S'il est moins méfiant, il demeure quand même inquiet. Il semble écouter chaque parole, chaque mot. Il semble boire nos paroles, comme s'il devait retenir par coeur chaque syllabe.

"Pourtant, il n'écoute pas toujours. En fait, il écoute juste quand ça y tente. Comme moi, d'ailleurs. On ne peut pas dire que ce soit un chien très discipliné ou law and order."

"Je me souviens qu'une fois, un policier me demandait de le rappeler pour le mettre en laisse. Je te jure que j'avais l'air un peu con parce que Pharo ne voulait rien savoir. Dans le fond, en dedans de moi, je riais et j'étais bien content."

"Les chiens ne sont pas des bibelots qui sont avec nous pour exécuter nos quatre volontés. J'aime un chien avec du caractère, à la limite un peu rebelle, même."

"Par contre, quand il sent dans ma voix que c'est sérieux et important, il écoute. Il est très sensible à la voix. Dans le fond, un chien, c'est intelligent et ça comprend. Ça nous comprend. C'est plein de sagesse parce que ça nous aime, nous comprend et nous protège. Les chiens sont tellement généreux et libres, dans leur tête. On ne les entend pas. C'est comme les humains, finalement : les plus libres sont ceux qui crient le moins fort."

Un séducteur

Avec les autres animaux, Pharo est un éternel "colleux".

"Particulièrement avec les femelles. Un vrai Pépé Le Piou, la moufette romantique des dessins animés. Comme Rudolph Valentino, Pharo a les deux yeux dans le beurre quand il voit une femelle. C'est un vrai séducteur" ajoute amusé notre chanteur.

Avec les écureuils, par contre, point de séduction. Du jeu seulement. Au Parc Lafontaine, où Jean l'amène marcher, Pharo aime courir après ces petites bêtes : "Il ne les mord jamais. Il ne fait que jouer avec. C'est comme s'il voulait leur montrer qu'il pouvait les attraper, qu'il était plus vite qu'eux."

L'enfance de Jean

Notre auteur-compositeur a toujours eu des chiens, en autant qu'il se rappelle. Dans son enfance passée en Afrique, les animaux faisaient partie du quotidien.

"En Algérie, il y avait des chiens partout. Parfois, on entendait des meutes canines arpenter les campagnes, à la chasse. Les hurlements et aboiements étaient alors saisissants."

Un peu plus tard, Jean eut un Braque allemand.

"Dans la plaine africaine, mon Braque partait à vive allure et courait sans arrêt, n'ayant ni chaîne ni clôture pour le limiter. Après quelques minutes, je le voyais au loin, à deux ou trois kilomètres, toujours en train de courir. C'était vraiment fou, mais fascinant."

À son arrivée à Montréal, Jean a eu un second Braque. Sauf qu'en pleine ville, avec un spécimen particulièrement actif, notre personnalité n'eut d'autre choix que de le donner à un ami vivant sur une ferme.

"J'étais incapable de le garder. Il voulait toujours courir dehors, c'était impensable. Aujourd'hui, à la campagne, il est heureux."

Monsieur le philosophe

Voici enfin Félix, ou plutôt Monsieur Félix, qui daigne s'approcher. L'air renfrogné, il plisse le front en nous regardant, semblant se dire : "Mon Dieu ! Que de bruit pour rien !"

"Félix, c'est mon philosophe, mon être contemplatif. Non mais c'est vrai : il a l'air d'un vrai prof de philo. Un look d'enfer avec un regard sévère. Parfois, quand il s'installe devant moi, j'ai l'impression qu'il veut m'hypnotiser. Il me fixe et ne lâche pas. Pendant de longues minutes. Après un certain temps, ça a pour effet de me calmer, me déstresser. Je pense que finalement, son effet d'hypnose fonctionne pour de vrai."

Drôles de relations

Pour Jean, les relations animaux-humains sont à la fois fructueuses et curieuses. Bonnes et profitables parce qu'elles ressourcent les humains, leur donnent une énergie nouvelle. Curieuses parce qu'elles unissent deux êtres tout à fait différents.

"L'Homme, c'est la réflexion. L'animal, c'est l'action. Pour un chien, par exemple, tout est instantané. C'est comme un déclic. Il n'y a jamais d'explications. Alors que toi, devant lui, tu es en train d'évaluer, de soupeser. Le chien exécute, sans réfléchir aux conséquences. Sa conscience est synonyme d'immédiateté."

"En plus, c'est sain un chien. Ça ne détruit rien et ça compose bien avec la nature, la vie. Un peu le contraire de l'Homme, en fait. C'est quand même drôle que le chien soit devenu le meilleur ami de l'Homme."

Pour conclure

Pour Jean Leloup, les animaux sont un des derniers liens unissant l'Homme à la nature. S'il comprenait mieux les animaux qui l'entourent, l'Homme en aprendrait sûrement un peu plus sur la vie et sur lui-même. Ça serait déjà ça de pris...

Copié de Ainsi va la vie
page principale | articles: alphabétique | articles: chronologique | photos

Dernière mise à jour le 8 février 2008.
http://news.lecastel.org
Conception: SD