Les confessions de Jean Leloup
par Philippe Rezzonico
dans Rue Frontenac, 20 avril 2009
Critique

C’est arrivé dans un resto-bar-club en fin de semaine. Lequel ? Peu importe, il y en a des tas comme ça en ville. Nous étions là, avec des copains. Lesquels ? Aucune importance non plus.

Jean Leloup s’est pointé vers une heure du matin. Banal. Il y a longtemps que j’ai cessé de comptabiliser les fois que j’ai croisé Leloup-Leclerc dans un bar depuis 20 ans. Johnny, il fait partie du paysage.

Un quart d’heure plus tard – quoique je ne sais trop, en société, on a moins la notion du temps –, je sirote mon cognac adossé à la console quand je remarque que le compact Mille excuses Milady se trouve devant moi. Le DJ a déjà glissé dans son lecteur le disque que Leloup lui a remis, histoire d’entendre sommairement les nouvelles compos.

Un compact généreux

Je saisis machinalement le compact – réflexe de chroniqueur de disques –, en me disant qu’il est fort joli, généreux (17 chansons), et je note au passage que le livret est étoffé. C’est alors qu’il se produit deux choses sidérantes, l’une collective, l’autre individuelle.

À un moment, le DJ met une chanson qui n’est pas le premier extrait (La plus belle fille de la prison) dévoilé la semaine dernière, mais Old Dead Wolf, le troisième titre de l’album. Alors, dans ce lieu où il y a une centaine de personnes, nul ne réagit. La chanson a fusionné à merveille avec ce que le DJ faisait jouer – des chansons club assez obscures des années 1980 –, mais je n’ai vu personne qui a dit : « Hé, c’est pas Leloup, ça ? »

Remarquez, peut-être que plein de gens s’en sont rendu compte, mais pas moi, absorbé et jeté sur le cul par la lecture du livret. J’ai commencé à le lire machinalement, en me disant que Leloup s’offrait des remerciements d’usage et une petite mise en contexte. Après deux minutes, j’ai réalisé que j’étais en train de lire l’une des plus étonnantes mises à nu d’un artiste.

Les peurs de Jean Leloup

En douze pages (!) bien tassées, Leloup évoque la genèse de l’album, mais parle surtout de lui tous azimuts et de cette peur qui lui noue les tripes : peur de décevoir, peur des confrontations, peur de ne pas être à la hauteur. Il évoque avec une sincérité désarmante qu’il a trop souvent cherché à plaire, ce qui a mené à des débordements.

Il parle aussi de ce mal qui le hante, celui lié aux fréquences sonores, les «mid», comme on dit dans le jargon des musiciens, qui lui fendent le cerveau quand il joue sur scène. Il parle de son attitude en disant que s’il remonte sur scène dans de petites salles et qu’il se met à engueuler le monde comme il l’a fait au Colisée en 2008, il ne faut pas se gêner pour le lui dire, l’attacher, même. Et il parle d’un tas de cons, mais pas juste pour les engueuler. Avec moult explications à l’appui. On frise la sociologie.

Ne prenez pas totalement les deux paragraphes précédents au pied de la lettre. Je n’ai pas pris de notes – j’étais là pour m’amuser avec des amis, souvenez-vous – durant le quart d’heure entier que cela m’a pris pour lire ça, tellement j’étais cloué de stupeur. J’y vais de mémoire. Mais cela représente le ton général du propos.

Immense confession

Je ne suis pas sûr que Leloup en ait révélé autant sur lui dans les centaines d’entrevues qu’il a données. En fait, j’ai eu l’impression que ce livret était une immense confession de Leloup à tous (fans, industrie et détracteurs) au moment où il faisait voler en éclats pour de bon toute notion de personnage.

L’ironie, me disais-je, en déposant le compact de Mille excuses Milady près de la console, c’est que même si je n’ai entendu que deux chansons du nouvel album de Leloup – c’est encore vrai au moment où j’écris ces lignes –, je peux présumer qu’il sera un classique.

Tout le monde va vouloir se le procurer.... ne fût-ce que pour le contenu du livret digne d’une confession à l’église. Sacré Johnny.

Photo: La pochette du compact Mille excuses Milady de Jean Leloup.
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Dernière mise à jour le 30 mai 2009.
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