Paris gagné
par Laurent Saulnier
dans VOIR, 12 avril 1992
Article

Affirmer que Paris vit en ce moment au rythme du Québec serait exagéré. Ce qui l'est moins, cependant, c'est de dire que rarement la chanson et la musique de chez nous a eu une aussi bonne diffusion. Chez les mega-disquaires (FNAC ou Virgin), nul besoin de fouiller dans le fond des bacs pour mettre la main sur les disques québécois. De Luc De Larochellière, qui sera en concert à la Cigale le 11 mai prochain, à Beau Dommage, en passant par Laurence Jalbert, Les B.B., Robert Charlebois et Carole Laure, ils sont tous bien en vue. Côté disque, le Québec ne semble plus être un ghetto culturel, mais un partenaire valable et peut-être même rentable...

Si l'automne ici fut celui de Luc De Larochellière, le printemps semble être voué à Jean Leloup, qui faisait son premier concert parisien lundi dernier, toujours à La Cigale, d'une capacité d'environ 700 spectateurs. Concert qui fut d'ailleurs annoncé complet dès vendredi dernier, c'est dire la popularité du Loup. Il faut d'abord dire que Leloup a offert une impressionnante performance pour cette première. J'y ai retrouvé le performer que j'aime, celui qui se bat pour aller chercher son public, pas celui, assis sur ses lauriers, du très moyen show d'Halloween...

Leloup voulait séduire son public et il l'a fait de brillante façon. Sans faire la pute, sans le atter dans le sens du poil. Il a tellement bien conquis son public que par moments, on se serait vraiment cru à Montréal. Même genre de public plutôt jeune et rocker, mêmes réactions face aux mêmes chansons, même parterre agité par les pogoteurs effrénés.

Seule différence, il a réussi ici en six mois ce qui lui a pris deux ans au Québec. Normal. Parce que le déclencheur fut le même ici comme ailleurs: 1990 et son rythme d'acier, servant d'assise solide à une mélodie implacable. Celui que le quotidien Libération décrit comme «la brebis galeuse de la chanson québécoise» a donc gagné son premier pari. De MC Solaar, le rapper qui monte ici, à Pierre Terrasson, le photographe rock le plus célèbre après Claude Gassian, tous n'ont que des éloges pour lui.

Reste maintenant à inscrire un score identique avec une deuxième et une troisième chanson (Isabelle?, Cookie?, L'amour est sans pitié?) et à monter la tournée automnale. Côté première publique, on ne peut qu'être d'accord avec le public en délire.

Le cas de Carole Laure est tout à fait différent. Elle fait partie du paysage médiatique et culturel parisien depuis longtemps et son concert à l'Olympia n'avait pas la couleur de découverte qui imprégnait celui de Leloup à La Cigale. Le public de Carole Laure étant aussi plus vieux que celui de Leloup, il est donc moins démonstratif, moins exubérant.

Rien donc à reprocher à cette première. Pas la moindre trace de nervosité, et «juste ce qu'il faut d'adrénaline», pour reprendre l'expression de Katherine Hollis, la danseuse qui accompagne la chanteuse. Encore une fois, le spectacle ne fait que s'améliorer; encore une fois, on a modifié l'ordre des chansons, refait quelques arrangements, retravaillé les chorégraphies, bref, le work in progress n'en finit plus de progresser, chacun des membres de l'équipe le possédant maintenant à fond, le spectacle est réglé comme du papier à musique et est terriblement éblouissant. Même la chanteuse, à qui on a reproché toutes sortes de choses, chante de mieux en mieux, se permettant même de blueser de temps à autre, laissant entrevoir un vibrato que tous ignoraient.

Reste maintenant le but ultime de ce voyage: Roch Voisine au Champs-de-Mars vendredi soir. On y attend près de 200 000 spectateurs. On appelle ça une apothéose.

(Article original)


page principale | articles: alphabétique | articles: chronologique | photos

Dernière mise à jour le 31 juillet 2000.
http://news.lecastel.org
Conception: SD