Plaisir d'amour
par Frédéric Tomesco
dans Voir, 3 mai 1990
Critique

Le comédien Gildor Roy traînait sa grande carcasse de cow-boy de l'Abitibi sur la scène de La Licorne au cours du mois d'avril. Un show consacré à sa musique préférée, le country. Un show sympathique, chaleureux, où les musiciens ne sont pas tous des requins de studios, où les fins de pièces ne sont pas toujours "tight", où l'interprétation musicale est parfois chambranlante.

Mais cela importe peu. Parce que ces gars et ces filles aiment la musique en général et le country en particulier. Le plaisir de jouer l'emporte sur le son parfois déficient, l'amateurisme avoué et assumé des musiciens, l'éclairage de salle paroissiale. Ça reste indéniablement un show à voir et à entendre.

Ça me fait suer, par exemple, que ce soit un comédien qui soit le véhicule de cet amour de la musique. Ça me fait suer que pas un musicien professionnel ne soit capable d'une telle fête de la musique, juste pour le fun. Sans que cela entre dans un plan de marketing, sans que cela ait un rapport avec un nouveau disque, un changement d'orientation, d'image.

Ça me fait suer de penser que ce show ne soit possible que parce que c'est un comédien, qui n'a pas de compagnie de disques derrière lui pour lui dire si c'est bon qu'il le fasse, qui n'a pas d'attaché de presse musical pour définir ce qu'il veut faire passer, qui n'a pas de 45 tours à promouvoir.

Ça me fait suer de penser que cette spontanéité soit perdue dans l'industrie musicale montréalaise, trop compartimentée, trop fonctionnarisée. Il n'y a plus de concerts juste pour le plaisir du concert. Juste pour le plaisir de jouer et d'écouter de la musique. Les seuls qui résistent toujours à cette manie, on peut les compter sur les doigts d'une seule main, et celle de Django Reinhardt en plus: Too Many Cooks, Les Taches, Jean Leloup.

Voilà une des raisons pour lesquelles Leloup a causé une si grande commotion l'année dernière. Il semblait refuser le processus, devenu malheureusement normal, disque-promotion-palmarès-promotion-concert. Ses concerts étaient de réelles fêtes de la musique. C'est d'autant plus étrange que - parlez-en à tous les musiciens - c'est la scène qu'ils préfèrent. Le disque, c'est une carte de visite, un album souvenir, des photos de voyage. Mais comment être encore stimulé quand chaque concert est finement planifié dans un agenda hyper-chargé? Doit-on absolument rester en marge de l'industrie pour conserver ce plaisir intact?

Merci Alex!

MCC, LTC
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Dernière mise à jour le 15 février 2005.
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