Acceptation globale
par Laurent Saulnier
dans Voir, 7 octobre 1993
Critique

Ça faisait longtemps, très longtemps, trop longtemps que l'on avait assister à un premier concert montréalais d'un nouvel artiste montréalais de cette qualité.

Tout y était. La spontanéité et la rigueur, l'humour et l'intensité, la folie et la sérénité, le plaisir et l'angoisse, les textes et la musique, tout. Dans un mélange qui ne laissait planer aucun doute sur les immenses qualités de l'artiste.

Jeudi dernier, au Club Soda, lors de la première du spectacle de Daniel Bélanger à Montréal, nous avions tous l'impression d'assister à un moment historique pour la suite de la musique au Québec.

L'avènement d'un auteur-compositeur de la trempe des Michel Rivard, Pierre Flynn, Richard Séguin, etc.

Ce que Daniel Bélanger nous propose n'a cependant rien d'original à proprement parler. Mais il le fait avec une voix nouvelle, un ton nouveau, d'une nouvelle façon.

En trio (accompagné de fabuleuse façon par le multiguitariste Rick Haworth et le bassiste Mario Légaré), il laissait ainsi beaucoup d'espace à ses textes et, par le fait même, à sa voix. Voix magnifique qu'il utilise d'ailleurs comme un quatrième instrument. Contrairement à la plupart des chanteurs, lorsqu'il se met à improviser à la fin des chansons, Bélanger ne blowe pas. Il se sert de sa voix comme d'un instrument à vent (est-ce des relents de son passé de flûtiste et de saxophoniste?) qui viendrait prendre un solo. Elle part de la mélodie initiale, et s'envole, tourne autour, revient à la base, repart, exactement comme le ferait un instrument à vent. S'il y a réelle nouveauté, musicalement parlant, c'est là.

Pour le répertoire, vous le connaissez déjà bien. La plupart des pièces des Insomniaques s'amusent (dont Sèche tes pleurs, presque un classique instantané de la chanson québécoise, dans la même ligne, soit dit en passant, que la célèbre Céline de Hugues Aufray), plusieurs nouvelles (dont Cruel, au groove irrésistible, un autre hit instantané, si j'en juge par la réaction du public) et plusieurs interprétations, qui vont du dépoussiérage de chansons kétaines (Donne-moi ta bouche de Pierre Lalonde, une version tibétaine de C'qu'on est bien quand on est dans son bain, la version française de These Boots Are Made for Walkin' de Nancy Sinatra) à la redécouverte du répertoire. Par exemple, pour Charlebois, il ne fait pas Ent'deux joints, comme tout le monde. Il fait Sensation. Par exemple, quand il visite Dutronc, il ne fait pas Les Cactus comme tout le monde. Il fait À la vie, à l'amour. Marques d'une bonne connaissance de la chanson et d'une envie d'aller un petit peu plus loin que le plus grand dénominateur commun.

On se bouscule aux portes du Club Soda pour aller voir Daniel Bélanger, et on a bien raison. Voilà un des meilleurs shows québécois de l'année.

S'il n'y avait aucun représentant des médias anglophones lors du show de Bélanger, nous sommes quelques-uns de la presse francophone à avoir couru ensuite au Spectrum pour assister au spectacle des Montréalais Doughboys, qui mélangent adroitement mélodies pop des années 60 et guitares méchantes des années 90.

Un show tout en énergie, en force, et en pouvoir. Un show de chaleur et de distorsion. De délire et de slam. Rares sont les groupes montréalais qui ont les reins assez solides pour emplir un Spectrum et le faire crever de chaleur. Les Doughboys en sont.

Immanquablement et irrémédiablement.

Samedi soir, au Théâtre du Forum, dernière date de la tournée Rock le Lait, avec France D'Amour, Vilain Pingouin et Jean Leloup. Rectifions une chose dès le départ. Malgré tout ce que tout le monde a pu en dire, et Rudy Caya le premier, ces trois artistes n'ont pas fait le Forum mais bien le Théâtre du Forum. Avec une capacité qui équivaut à celle de la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Ne nous snappons pas les bretelles trop rapidement...

En ouverture, France D'Amour nous a prouvé qu'elle a la bonne attitude rock. Une bonne personnalité, une fille qui bouge bien, du guts en masse, une voix qui sait quand pousser, voilà quelqu'un qu'il faudra surveiller. Si seulement elle pouvait apprendre à dire le strict minimum entre les chansons, et faire une autre chanson que Bobépine comme cover...

Pris en sandwich, Vilain Pingouin ne m'a jamais paru aussi bon que samedi soir. Ramassées en cinquante minutes, leurs meilleures chansons rentraient comme une tonne de brique. Une unité dans le groupe qui ne semble jamais faire défaut, et qui fait que le groupe ne m'a jamais paru aussi tight. Est-ce la meilleure formule pour le groupe?

En fermeture, Jean Leloup en est encore au stade de l'expérimentation, avant l'enregistrement de son troisième album. Et le Théâtre du Forum n'est pas le meilleur endroit pour faire des expériences...

Disons aussi que, contrairement à ce que tout le monde dit, des nouvelles chansons, il n'y en avait pas tant que ça. Le Manoir à l'envers, Edgar, Gare nationale, Leloup les interprétait déjà lors de sa dernière tournée. Dans des arrangements complètement différents, c'est vrai, mais ces chansons existent sur scène depuis belle lurette.

Tout ça pour dire que je ne sais trop quoi penser de cette performance, sauf en ce qui concerne l'excellent guitariste Yves Desrosiers, véritable colonne vertébrale du groupe, déchaîné comme rarement je l'ai vu. Ce n'était pas le Leloup des meilleurs jours mais c'était nettement mieux que la dernière fois que je l'ai vu à Montréal. Il faudra attendre le prochain album et la prochaine tournée avant de se faire une idée sur cette nouvelle direction, plus noire, plus back beat.

Rendez-vous au printemps 94 pour la suite...
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Dernière mise à jour le 26 mars 2003.
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